Pourquoi attendre que le petit bonhomme passe au vert s'il n'y a aucune voiture ? Et pourquoi devoir forcément aller jusqu'au passage-piétons pour se rendre de l'autre coté de la chaussée ? Ces questions ne se posent désormais plus. Un piéton qui veut traverser la route, la traverse, et l'automobiliste n'a qu'à bien se tenir. Or, cette manière d'appréhender la circulation n'est pas commune à tous les pays, et émanerait de l'importance de la loi pour les citoyens, voire d'une forme de goût du risque.
Des chercheurs de l'Université de Strasbourg se sont intéressés à cette pratique anodine de traverser la route en dehors des passages cloutés. Les résultats de leur étude montrent que cette habitude n'est peut-être pas si anodine, mais plutôt culturelle, et serait un reflet du comportement général de la population… Cette étude est la première dans son genre. Bien que de nombreux autres scientifiques se soient penchés sur le sujet, personne n'avait encore impliqué l'analyse de survie dans l'équation.
Une analyse de survie en milieu hostile
Cette analyse de survie est l'observation de temps utilisé pour prendre une décision dans un environnement à risques. Pour que la comparaison soit valable, il faut que les outils soient comparables entre eux. Autrement dit, ne pas mettre en relation un petit village français de 500 habitants avec une ville immense. De plus, pour que les différences soient observables, il faut que les contextes se distinguent : une ville européenne a donc été mise face à une ville asiatique. Aussi, les deux villes retenues pour cette observation sont Strasbourg (France) et Inuyama, au Japon.
Ces deux villes présentent le même type de circulation routière et la même densité de population. Dans chacune des deux villes, 2 sites ont été sélectionnés suivant certains critères communs : éclairage de la rue, vitesse moyenne des voitures, largeur de la chaussée, volume du trafic. Une fois le contexte établi, l'expérience pouvait commencer. Celle-ci se déroule en 2 étapes, à deux endroits différents : la première consistait en l'observation des comportements face à un feu pour piéton de 30 secondes ; la deuxième portait sur le temps de décision à traverser une route dépourvue de marquage au sol.
Seules les personnes prenant la décision de traverser ont été étudiées, car le phénomène de groupe biaise les données. En effet, l'importance de l'étude n'est pas de découvrir le nombre de personnes qui traversent en dehors des passages prévus pour, mais le nombre de personnes qui décident de traverser malgré l'absence de ces passages. De la même manière, l'étude se focalise sur le temps moyen de prise de décision (Tdec) à traverser la route dans une situation "à risques".
Peuple rebelle ou inconscient ?
D'après les résultats de l'étude, seulement 6,9 % des Japonais traversent la route alors que le bonhomme est rouge. Proportion largement dépassée par la population française puisque, à Strasbourg, c'est 67 % des gens qui traversent en situation à risque, c'est-à-dire alors que le bonhomme est rouge. Cela fait quasiment 7 personnes sur 10 en France, et même pas 1 sur 10 au Japon. De plus, si les Japonais mettent en moyenne 16 secondes à se décider à traverser hors des passages cloutés, les Français n'ont besoin que de la moitié de ce temps.
En moyenne, après le passage d'une voiture, 9 secondes suffisent aux Français pour regarder à droite comme à gauche, évaluer la vitesse des voitures, la distance qu'ils auront à parcourir et jauger s'ils peuvent ou non se lancer dans la traversée illégale de la route. Si aucune différence significative n'a été remarquée entre hommes et femmes en France, les hommes ont eu tendance à se différencier des femmes au Japon : les délais sont de 11 secondes pour les hommes, et de 19 secondes pour les femmes. Les facteurs environnementaux (pluie, brouillard, nuit…) ayant été pris en compte dans le choix des sites, sont d'office écartés de toute explication.
Une utilité controversée de la prévention routière ?
Selon les auteurs de l'étude, une explication relative à la culture serait la réponse la plus plausible : les Japonais seraient très attachés à la loi et au respect de celle-ci, et visiblement les hommes seraient plus aptes à prendre des risques. Finalement, les Français verraient la loi plutôt comme un moyen de régulation et de prévention, c'est-à-dire qu'elle ne sert que si l'on en a besoin : bien que le feu soit rouge, s'il n'y a pas de voiture, il n'a pas d'utilité. Et ce, quel que soit le sexe. Sachez cependant qu'une amende peut vous être adressée si vous traversez illégalement. Le montant, de 4 euros, fait réfléchir.
En définitive, la manière dont vous traversez la route indique votre seuil de prudence par rapport au "Français moyen". Pourtant, même si l'on a l'impression d'être attentif à chaque traversée audacieuse, le site de la Préfecture de Police indique qu'un piéton a été tué toutes les 3 semaines en 2012 en France. La même année, chaque semaine encore, c'est 4 passants qui se faisaient blesser grièvement et 31 légèrement. Le total de Français renversés en 2012 s'élève donc à 1 893. Soit 5 personnes chaque jour. Le feu rouge aurait peut-être une véritable utilité…
Source : Etude "Different risk thresholds in pedestrian road crossing behaviour: a comparison of French and Japanese approaches"