Récemment, une parlementaire vénézuélienne issue de la formation politique du président défunt Hugo Chavez a déposé une proposition de loi pour le moins radicale. Objectif : contraindre les mères au Venezuela d'allaiter au sein au cours des six premiers mois de l'existence du nourrisson.
Le 18 juin dernier, la parlementaire vénézuélienne Odalis Monzon a déposé une proposition de loi visant à obliger les femmes à allaiter leur enfant au sein pendant les six premiers mois. Or, si une telle décision venait à être appliquée – ce qui risque de se concrétiser –, les biberons comme les laits artificiels, à quelques rares exceptions comme lorsqu'un bébé est intolérant au lait maternel, n'auraient plus le droit d'être utilisés. Au même titre que la Bolivie, l'Équateur, le Puerto Rico mais également l'Argentine, le Venezuela disposait pourtant d'ores et déjà d'un arsenal législatif efficace pour défendre l'allaitement au sein.
Un dispositif qui avait déjà largement fait ses preuves
C'est en 2007 que la "ley de lactancia", la loi sur l'allaitement, interdisait la publicité pour les biberons tout en forçant les médias à ne pas remettre en cause directement ou indirectement la politique officielle de promotion de l'allaitement. Outre le fait de poursuivre aujourd'hui ces restrictions, cette loi oblige également les fabricants de lait artificiel à recommander aux consommateurs (via une mention spécifique sur les emballages des produits) le recours au lait maternel jusqu'à l'âge de deux ans.
Considérant ces mesures comme trop laxistes, la députée vénézuélienne, par ailleurs vice-présidente de la commission des familles à l'Assemblée nationale, a décidé d'interdire aux centres de santé de nourrir les bébés de moins de six mois en utilisant autre chose que du lait maternel. À noter que les médecins et hôpitaux qui choisiraient de contourner cette loi feraient l'objet d'une amende pouvant atteindre 50 000 dollars, sans compter une interdiction d'exercer pendant quatre mois.
Or, même si le texte proposé ne fait en réalité que reprendre les recommandations officielles de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une différence de taille est néanmoins à signaler : la dimension de la contrainte.
Pourquoi une telle mesure est une atteinte aux droits des femmes
Pour la philosophe Elisabeth Badinter, l'obligation pour les femmes d'allaiter n'est autre qu'une "atteinte caractérisée au droit" de ces dernières "à disposer de leur corps". Mais au-delà de cette remise en question, il n'est selon elle pas si étonnant de retrouver une telle proposition liberticide au Venezuela. Il ne fait en effet aucun doute que la proposition d'Odalis Monzon est une façon d'attaquer les multinationales exportant du lait artificiel au Venezuela. D'ailleurs, la politique défendue par la députée s'inscrit dans la logique de la souveraineté alimentaire, pierre de voûte de la révolution bolivarienne.
En conséquence : des banques de lait maternel vont être mises en place pour nourrir les enfants dont les mères ne sont pas en mesure d'allaiter.
Les opposants à pareille décision mettent en évidence une tentative de redéfinition de la femme par la maternité. À noter que la Leach League, fondée en 1956 aux États-Unis, n'est pas étrangère à ce phénomène de promotion de l'allaitement maternel au Venezuela. D'autre part, des organisations telles que l'Unicef ou l'OMS sont très à l'écoute de cette dernière. Tant et si bien qu'elles promeuvent depuis plusieurs années le message de l'association, à savoir l'allaitement exclusif jusqu'à six mois et mixte jusqu'à deux ans.
Du côté de l'Hexagone, les membres de la branche française de la Leach League considèrent cette promotion comme un contrepoint efficace au vaste marché des publicités sur le lait artificiel.
Une histoire de santé ?
À en croire les nombreuses études et les principaux arguments mis en avant par les défenseurs de l'allaitement maternel, c'est bien la santé qui est en jeu dans cette pratique. Prévention des allergies, des infections gastro-intestinales ou encore respiratoires… les bienfaits du lait naturel sont nombreux. Pour les mères, le fait de donner le sein serait aussi une bonne façon de prévenir le cancer du sein.
Résultat : certains états, à l'instar des pays scandinaves, ont fait de l'allaitement naturel une véritable composante de la politique publique. En Norvège, par exemple, les mères seraient 98 % à allaiter leurs enfants. En Suède, où 90 % des bébés sont allaités, une nouvelle loi pourrait prochainement interdire la représentation des nouveaux nés sur les emballages de lait artificiel.
Le culte de l'allaitement naturel
Aujourd'hui, il est de moins en moins rare que des mères préférant ne pas recourir à l'allaitement au sein soient considérées par leurs maris comme des "mères maltraitantes", explique la pédopsychiatre et psychanalyste Myriam Szejer. Résultat : la pression des familles et des pères est parfois considérable. Pourtant, explique Szejer, beaucoup oublient que le fait d'allaiter est un choix intime qui met en jeu le corps de la femme. C'est la raison pour laquelle toutes les femmes ne sont pas égales face à l'allaitement, avec certaines y parvenant plus facilement, et d'autres pas.
Pour Elizabeth Badinter, une promotion trop importante et trop contraignante de l'allaitement naturel pourrait, à terme, amener les femmes ne désirant pas allaiter à ne plus faire d'enfants. On observe par exemple une chute de la natalité en Suisse et en Allemagne, où la maternité est très exigeante. De même, il est selon elle important de ne pas oublier que les enfants sentent beaucoup de choses, et le fait d'allaiter sous la contrainte pourrait être vécu comme un trauma.
À l'heure actuelle, en France, on considère que 69 % des nouveau-nés sont allaités à la maternité, et 54 % deux mois plus tard, d'après les résultats de l'étude Epifane de l'Institut national de la veille sanitaire (INVS). Ces derniers n'étaient que de 37 % en 1972. Reste que si le corps médical défend aujourd'hui largement le recours au lait maternel, l'INVS estime pour sa part qu'utiliser des formules lactées est une alternative "tout à fait acceptable pour la santé des enfants".
Sources : Le Figaro, Leach League, HuffPost, INVS