Encore un rebondissement dans l'affaire du quatrième opérateur, arrivé il y a un peu plus d'un an sur le marché, qui déclenche des polémiques à répétitions. D'abord accusé de casser les prix de manière anticoncurrentielle, les critiques pleuvent désormais sur le déploiement de ses antennes-relais - jugé trop lent par l'Autorité de la concurrence et les opérateurs SFR et Bouygues - et sur la qualité de son réseau, que beaucoup d'utilisateurs et de commentateurs jugent volontairement faible.
Quand Free se lance sur le marché des opérateurs de téléphonie mobile, il ne dispose pas encore de son réseau d'antennes. L'Autorité de la concurrence, ainsi que celle qui règlemente les opérateurs de téléphonie mobile, l'Arcep, décident d'autoriser le nouvel entrant à passer un deal avec un opérateur déjà installé, en l'occurrence Orange-France Télécom, pour lui sous-louer son réseau. Un accord entre les deux entreprises est passé, dit contrat d'itinérance, en vertu duquel Free pourra faire transiter les appels de ses clients par le réseau d'Orange, contre rémunération en fonction de la quantitée de données acheminées. L'accord prévoit qu'il prendra fin au plus tard en 2018, quand Free disposera de son propre réseau.
Les accusations se multiplient, les critiques sont sur tous les fronts
Du fait du contrat d'itinérance, qui arrange autant Free qu'Orange, et de la concurrence rude avec les autres opérateurs SFR et Bouygues Télécoms, l'Autorité de la concurrence demandait récemment à Free d'accélérer le déploiement de ses antennes. Du coup, un des opérateurs concurrents a fait faire un "drive-test" (mesure de débit réalisée dans une voiture en comparant le temps de téléchargement de différents types de données depuis un téléphone connecté via Free Mobile et un autre connecté à un réseau témoin, en l'occurrence Orange) pour constater la différence entre les qualités de service offertes. L'idée étant de montrer que Free, avec son réseau sous-loué à Orange, propose une connexion à la fois moins rapide, moins fiable et de moins bonne qualité.
Les résultats du test sont édifiants : en zone d'itinérance (là où Free ne dispose pas de l'infrastructure et passe par le réseau Orange), le téléphone connecté par Free Mobile met 4 minutes de plus que le téléphone témoin à télécharger une application de 14 Mo, quand celui-ci met moins de 30 secondes, soit 6 fois plus de temps ! Pour visionner une vidéo en streaming, le téléphone sous Free met entre 2 et 3 fois plus longtemps à charger la vidéo avant de commencer à la jouer. Sans itinérance, les résultats sont meilleurs, mais toujours au moins 20 % moins performant que ceux du téléphone témoin. En streaming, le téléphone sous Free est beaucoup plus lent que celui sous Orange.
Ces doutes sur la fiabilité du réseau Free avaient déjà poussé l'association Que Choisir à réaliser une étude qui avait conclu à une moindre efficacité, et l'association de consommateurs avait déposé une plainte pour "pratiques commerciales trompeuses" dans la foulée. Dans un communiqué sévère du 17 janvier 2013, l'association accuse l'opérateur de restreindre le transit de données sur son réseau, annonce qu'elle porte plainte et "Demande (de nouveau) aux pouvoirs publics la mise en place d’un observatoire indépendant de la qualité observée du service (QoS) sur les réseaux fixes et mobiles". Elle accuse carrément : "Tous les éléments semblent indiquer que Free Mobile agit de manière à décourager l'utilisation d'Internet pour éviter de payer à Orange une trop grande quantité de données".
Free bride-t-il son réseau ?
Le "quatrième opérateur", qui s'était fait fort de dynamiter la concurrence faussée par une entente condamnée par la justice en 2005, fait-il de la publicité mensongère en affirmant apporter le haut-débit aux consommateurs français, à des tarifs low-cost ? Selon un technicien des télécoms qui souhaite rester anonyme, il est tout à fait possible que Free "limite" de façon délibérée le débit de ses clients, en n'activant pas des fonctions qui permettraient de rendre plus fluide la connexion afin de limiter sa facture due à Orange au titre du contrat d'itinérance. Le fournisseur d'accès aurait les capacités de satisfaire ses clients, mais pas l'envie.
Autre polémique : les forums bruissent de témoignages selon lesquels Free bride, cette fois de façon active, le débit de ses clients s'ils tentent de télécharger ou d'uploader des fichiers multimédias. Ces consommateurs révèlent qu'ils ont procédé à des tests dans les zones d'itinérance, et que l'opérateur se baserait sur l'extension du fichier (.mp3, .mp4, .pdf, …) pour déterminer à quel débit maximum ils vont pouvoir télécharger ou envoyer le fichier. S'il s'agit d'un fichier multimédia, gourmand en données et donc cher pour Free, alors le débit est de l'ordre de 1 à 10 ko/s, mais si l'extension correspond à un fichier moins lourd (.pdf ou .oga), alors le débit est supérieur à 100 ko/s. La vitesse de chargement variable en fonction de l'extension peut faire penser qu'il s'agirait là de décourager ceux qui, parmi les clients, veulent tirer le maximum du haut débit, comme par exemple accéder à des fichiers multimédias en ligne.
Même l'Internet fixe est mal desservi
Ces problèmes ne sont pas nouveaux pour l'opérateur : en février 2012, il était déjà condamné par le tribunal de commerce de Paris à 100 000 € d'amende pour avoir vendu un forfait "haut débit illimité" alors qu'il mettait parallèlement en place une limite sur le débit des clients non- dégroupés. L'idée était déjà de contenir le trafic pour n'avoir qu'une quantité réduite de bande passante à louer à l'opérateur propriétaire du réseau historique, Orange-France Télécom. Par ailleurs, Free a tenté, en janvier 2013, de bloquer les publicités toujours par économie de bande passante, avant de se faire rappeler à l'ordre par l'Autorité de la concurrence (voir la carte du dégroupage Free en France Métropolitaine).
En plein bras-de-fer avec Google sur cette question (les contenus publicitaires qui parasitent le trafic, et l'entretien de la bande passante, notamment à travers les investissements nécessaires que Free voudrait bien partager avec les sites comme Google), Free semble avoir oublié ses clients, abonnés et partenaires. A l'occasion de ce nouvel épisode de crise, peut-être que l'opérateur va changer ses pratiques et faire de la satisfaction de ses client une priorité, sans quoi il pourrait bien vite reperdre tout ce qu'il a gagné (5 millions de clients en 1 an, 8 % de parts de marché dans la téléphonie mobile) aussi vite qu'il l'a gagné. Car grâce à Free, les consommateurs ne sont plus des otages de leur opérateur : toutes les offres se sont calées sur le "sans engagement de durée". Et ça, c'est un vrai pouvoir !