La Française des Jeux est accusée, depuis plus de 10 ans, de ne pas respecter le hasard et de truquer ses jeux. Ce scénario ressemblant à une complainte d'un malheureux perdant qui, frustré, souhaite se venger du système et de l'industrie des jeux, dévoile les secrets de la FDJ. L'accusateur, Robert Riblet, ancien lauréat du prix Lépine, désormais retraité, a mené son enquête à travers toute la France, depuis 12 ans. La roue tourne, et la Française des Jeux risque le gros lot.
Tout a commencé en 2001, lorsque Riblet boit un apéritif dans un café. Il constate, sous ses yeux effarés, qu'un joueur commande un livret entier de blackjack, sans rien payer. Une fois le lot découvert, il en déduit le prix du carnet. Puis il recommence avec un autre livret, avec son ami buraliste. Riblet explique "qu'il s'agissait d'une pratique courante entre débitants et bons clients". Tous deux savaient que le ticket gagnant finirait bien par arriver. Hasard, probabilités ou trucages ?
Le principe du hasard remis en cause
Le principe du jeu à gratter est simple : vous achetez un ticket, vous le grattez et vous gagnez ou vous perdez une somme. Ces jeux sont pensés sur le modèle de l'aiguille dans une botte de foin et donc sur la chance de gagner parmi les tickets perdants. Cependant, selon Riblet, et après 33 000 € dépensés dans des Vegas, Solitaire et autres jeux, la Française des Jeux manipulerait le hasard. Chaque lot de 50 tickets détient tout au plus 1 ticket gagnant. Et les buralistes le savent.
En d'autres termes, le vendeur sait que le ticket qu'il vous vend est un ticket perdant, puisque le ticket gagnant a déjà été gratté par un de ses complices, ou par lui-même. C'est une botte de foin dépourvue de son aiguille, une vente organisée et règlementée de tickets perdants. Au terme de sa première enquête, qui a duré 3 ans, Riblet s'est empressé d'écrire à la Française des Jeux pour les informer que leur système était défaillant, et que les buralistes plumaient les clients.
Comme retour, il a "reçu une lettre de la direction [le] menaçant d'une plainte pour diffamation". Il décide alors d'écrire un livre. Puis le groupe lui propose un chèque de 300 000 € pour qu'il cesse toute procédure. Enfin un aveu selon lui, car quand le silence a un prix, c'est souvent que la parole peut coûter cher. Il décide donc de déposer plainte pour escroquerie, tromperie et publicité mensongère.
David contre Goliath
En accusant la FDJ, il accuse une société détenue à 72 % par l'Etat, qui brasse plusieurs milliards d'euros chaque année : en 2012, elle a encaissé 12 milliards d'euros, dont le quart est touché par l'Etat sous forme de taxes. C'est un record, notamment grâce à 3 vendredis 13 dans l'année, ainsi qu'à de nombreuses dates-clé (10/11/12, 12/12/12), quatre "cycles longs" (8 tirage sans gagnant) et de nombreux événements sportifs.
En 2006, la Française des Jeux est soumise à un rapport de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) qui valide les accusations de Riblet. Le groupe, représenté par Christophe Blanchard-Dignac, reconnait le mécanisme de répartition des tickets gagnants. Mais s'il a été mis en place, c'est uniquement dans le but de garantir un équilibre entre les régions sur la totalité du territoire. Car pour que chacun puisse gagner, il faut que chacun ait les mêmes chances.
La FDJ se cache ensuite derrière une notion très intéressante : celle de hasard prépondérant. Par sa seule existence, cela prouverait que les jeux à gratter sont bel et bien des jeux de hasard : le consommateur ne sait pas quel ticket est le gagnant, ni combien il en reste ou encore le montant des gains. Or cette notion ne s'applique qu'aux jeux "de contrepartie" c'est-à-dire lorsque le hasard est combiné à d'autres éléments, comme une stratégie par exemple. Les jeux à gratter doivent, eux, être soumis au hasard total puisque le consommateur ne peut en aucun cas influencer l'issue du jeu.
Quand hasard et jeux de mots se rejoignent
Aussi, en 2010, l'affaire arrive au jusqu'au Tribunal de Grande Instance de Nanterre qui conclut ainsi : "la notion de hasard prépondérant […] ne peut trouver application dans les hypothèses de grattage pur". En d'autres termes, c'est illégal. Cependant, ces règles étaient peu connues, et seulement par quelques cadres, ce qui était insuffisant pour remettre en cause la notion de hasard. Le tribunal demande alors à un linguiste, Claude Hagège, de se pencher sur la règlementation des jeux et leur fonctionnement.
Ce dernier estime que le slogan du Vegas "répartis selon la voie du sort" implique une intervention extérieure, ne serait-ce que celle du sort. Le sort peut alors être représenté par les dirigeants qui, après tout, respectent le principe du jeu : des tickets gagnants mélangés à des tickets perdants. De plus, le sort est une combinaison d'éléments qui ne dépendent pas de soi, comme le dirigeant de la FDJ ou la répartition des tickets, qui le composent en partie. Le tribunal prononce donc un non-lieu.
La Française des Jeux, qui pensait que cette histoire était définitivement finie, se voit à nouveau faire la une : le tribunal de Versailles a demandé, le 22 mars dernier, de relancer l'enquête afin de gratter un peu plus. Si la phrase étudiée par le linguiste a réussi à sauvé le Vegas, cette dernière ne s'applique pas aux autres jeux. Le juge d'instruction doit donc se remettre au travail sur les diverses pièces apportées par Riblet. Une audience aura lieu le 27 mai prochain, informe Sud-Ouest.