Rupture difficile, licenciement traumatisant, déménagement forcé… La vie est ponctuée d'épisodes chargés émotionnellement, qui restent gravés dans la mémoire et orientent l'avenir. Cette mémoire émotionnelle, fort efficace, est à double tranchant : s'il est agréable de se rappeler pendant des années, voire à vie, les bons moments, ne pas parvenir à éliminer les mauvais l'est moins, et vivre dans la tristesse ou le regret n'est pas le quotidien le plus épanouissant. Heureusement, des scientifiques viennent de mettre au point une petite pilule qui effacerait ces émotions, et avec le temps, le souvenir.
La mémoire effectue un tri automatique et se débarrasse des anecdotes sans importance qui construisent une journée. Ainsi, une personne amoureuse sera bousculée par un regard qu'une personne indifférente ne remarquera même pas. La connotation de ce même regard est sensiblement différente d'une personne à l'autre, tout comme la charge émotionnelle qui l'accompagne. Aussi, la première se rappellera longtemps de cet échange visuel, tandis que l'autre l'aura aussitôt oublié. C'est sur la zone cérébrale responsable des émotions, notamment la peur, qu'intervient la molécule appelée Propranolol, considéré pendant longtemps comme un simple antimigraineux.
Un antimigraineux pour mieux gérer la peur
À chaque mauvaise surprise de la vie, que vous éprouviez du chagrin ou de la haine, vous éprouvez avant tout de la peur : inconsciemment, vous avez peur que la même situation se reproduise. Des chercheurs du laboratoire du stress post-traumatique de Toulouse travaillent depuis 2007 sur un médicament censé réduire la charge émotionnelle, afin d'aider le patient à évacuer un souvenir douloureux. Dans les années 90, Pascal Roullet teste un antimigraineux sur des souris traumatisées. Celles à qui il avait administré le médicament sont reparties dans leur cage comme si rien ne leur était arrivé, tandis que les autres sont restées blotties dans un coin, encore apeurées. En test sur une cinquantaine d'humains (Montréal, Boston et Toulouse), le médicament déploie autant de bénéfices sur eux que sur les souris.
Les Français sur lesquels le Propranolol est testé sont des rescapés de l'explosion de l'usine AZF en 2001. Sur les 33 concernés, 8 seulement ont accepté le traitement expérimental. Philippe Birmes, le directeur du laboratoire, indique que les participants présentent déjà "une baisse des symptômes de stress post-traumatique : transpiration, sursauts exagérés, troubles du sommeil" rapporte La Dépêche. Parallèlement, une étude canadienne avait déjà rencontré un grand succès auprès d'une quarantaine de patients traumatisés de diverses façons.
Le contrôle artificiel des émotions
Après la lecture des émotions par un tatouage électronique, en voici le contrôle. Ce médicament s'inscrit dans la famille des bétabloquants : la molécule intercepte certains signaux chimiques comme l'adrénaline, modifiant ainsi le comportement. L'exercice de remémoration d'un souvenir douloureux provoque un état de stress. En prenant la gélule, le système nerveux ne fait plus le lien entre ce souvenir et l'état de stress, puisque les connexions chimiques sont bloquées. Ainsi, le souvenir reste, puisqu'il fait partie intégrante de vous, mais les émotions qu'il influe (tristesse, peur, remord, colère…) disparaissent.
Pour éradiquer chimiquement le racisme ?
Une étude américaine menée sur 36 patients, montre que le Propranolol annihile les préjugés. Sans s'attaquer aux idées reçues ou au racisme en particulier, les chercheurs voulaient constater jusqu'où le médicament agissait, et, puisqu'il réduisait la peur, s'il pouvait modifier les automatismes inconscients. Les scientifiques ont donc soumis les participants à un test d'association implicite : des images ou des textes ayant des connotations étroites, de l'ordre du préjugé, ou tout simplement un bout de visage (les yeux, la bouche...) et vous devez sélectionner "bon" ou "mauvais", "dangereux" ou "inoffensif" etc. Or, seulement 1 personne sur 3 a fait des rapprochements entre les images. Les études se poursuivent afin de voir si, dans un futur proche, le racisme pourrait être médicalement guéri.
Sources : Université de Montréal ; Étude sur les préjugés ; La Dépêche