L'économiste et essayiste américain Jeremy Rifkin, président de la Fondation pour les tendances économiques (Foet), décrit dans un entretien accordé au quotidien Libération, paru lundi 25 février dans le cahier "Futur éco", à quoi pourrait ressembler l'économie mondiale post carbone. "Prudemment optimiste" il estime que nous somme à l'aube d'une "troisième révolution industrielle", qui verra Internet servir de modèle à la production et la distribution d'énergie décentralisée et renouvelable.
En fin connaisseur de l'histoire de l'économie, Jeremy Rifkin détaille les étapes qui ont précédé les deux premières révolutions industrielles : elles sont chaque fois nées de la convergence de deux phénomènes. D'une part, l'émergence d'une source d'énergie, et d'autre part une révolution des modes de communication qui permet de gérer la complexité de cette nouvelle source d'énergie. Il prend comme exemple l'émergence, au XIXe siècle, de la machine à vapeur, qui, en transformant l'imprimerie, a permis l'instauration de l'éducation publique. L'électricité, au XXe siècle, a permis de développer le téléphone, la radio, la télévision, qui ont donné naissance à la société de consommation.
Aujourd'hui, c'est Internet et les énergies renouvelables qui sont les ingrédients de la prochaine révolution planétaire, qui a déjà commencée. La troisième révolution industrielle sera celle d'une démocratisation totale des communications et de l'énergie. "Deux systèmes, décentralisés et collaboratifs, régis par une logique de croissance non plus verticale et hiérarchisée, mais latérale". Cette nouvelle économie, distribuée, permet de mettre l'entreprenariat à la portée de chacun. Mettez par-dessus ce nouveau paradigme un appareil comme l'imprimante 3D, et vous avez les ingrédients d'une révolution qui remettrait en cause jusqu'aux fondements de l'économie capitaliste hyper centralisée du du XXe siècle : une production décentralisée, individuelle et entièrement maîtrisée par les consommateurs.
L'importance de s'adapter à ce nouvel environnement
D'une part, le système existant est vieillissant, il repose sur l'exploitation des ressources fossiles, qui menace les écosystèmes dont nous dépendons. Le coût de l'énergie est en augmentation constante, les infrastructures sont de moins en moins adaptées. D'autre part, des millions d'entreprises et de foyers produisent déjà leur énergie, et le coût de l'équipement nécessaire diminue au fur et à mesure que les gens sont beaucoup à faire ce choix. Alors que le coût initial diminue, les consommateurs vont être de plus en plus nombreux à se tourner vers la production de leur propre énergie, et ainsi de suite, jusqu'à ce que ce mode de production se généralise et remplace le carbone (de même que le prix des ordinateurs a diminué au fur et à mesure qu'ils s'imposaient dans la vie de tous les jours).
Jeremy Rifkin s'adresse directement aux compagnies de distribution de gaz et d'électricité pour leur conseiller d'accompagner le déploiement de ce réseau décentralisé, au lieu de s'accrocher à leurs positions de producteurs exclusifs, et de se spécialiser dans la gestion de cette énergie bon marché, en faisant payer aux consommateurs un pourcentage sur les économies qu'ils réalisent. De toute façon, cette transition se fera par la base, c'est-à-dire que les consommateurs imposeront cette nouvelle conception de la chaîne énergétique quand les prix du gaz et de l'électricité produite en centrale atteindront des sommets. Mais dans l'intérêt de l'économie, et dans leur propre intérêt d'un point de vue de concurrence, les entreprises de l'énergie ainsi que les industries qui en consomment devraient anticiper et commencer leur adaptation à ce nouveau paradigme.
Le rôle à jouer de l'Europe
En 2007, les 27 membres de l'Union Européenne se sont engagés à bâtir la nouvelle politique énergétique, en construisant les 5 piliers sur lesquels celle-ci reposera. Atteindre 20 % d'énergie renouvelables avant 2020, décentraliser l'infrastructure énergétique en facilitant la création de mini centrales grâce au solaire, à l'éolien, au géothermique, à la biomasse (…), investir dans les techniques de stockage et donner la priorité aux piles à hydrogène, créer un Internet de l'énergie pour passer d'un réseau électrique centralisé à une toile de micro acteurs capables de vendre et d'acheter leur énergie grâce aux technologies de l'information. Enfin, le dernier pilier est celui qui vise à électrifier les transports, y compris les voitures individuelles, pour les rendre rechargeables sur le réseau décentralisé (ce qui permettra d'avoir des débouchées pour toute cette production).
La "feuille de route vers une économie à faible intensité de carbone" de la Commission Européenne, qui vise comme fin de transition 2050, nécessite un investissement annuel de 270 milliards d'euros, soit 1,5 % du PIB de l'UE. La Chine, qui partage officiellement les principes de la troisième révolution industrielle, et l'Europe seront leaders dans cette transition, contrairement aux Etats-Unis qui n'ont pas de projet global. En France, la situation évolue beaucoup plus vite que l'économiste ne l'avait imaginé. Au niveau local, les partis politiques opposés travaillent ensembles à faire progresser cette économie décentralisée de l'énergie. Les moins de 40 ans, en particulier, sont mûrs pour une révolution économique, sociale et politique. A l'échelle nationale, la France, comme l'Allemagne, maîtrisent mieux que quiconque les technologies de l'énergie et les logistiques de transports.
Source : Libération