Chacun d'entre nous a déjà, un jour au cours de son adolescence ou même plus tard, chanté des chansons en anglais tout en réinventant, à défaut de parler la langue de Shakespeare, les paroles. Eh bien, ce phénomène, qui serait le même pour les adolescents étrangers, nous apprendrait à penser, selon le critique musical Kevin J.H. Dettmar.
Dans un article publié par le site Chronicle, le critique musical – par ailleurs professeur d'anglais –, Kevin J.H. Dettmar, évoque le phénomène des adolescents chantant des tubes étrangers en yaourt. Pour eux, réinventer les paroles n'est pas un problème et le plaisir qu'ils en retirent ne semble en aucun cas altéré par la pratique. À ce titre, Dettmar cite quelques exemples de chansons incompréhensibles, à l'instar de Smells Like Teen Spirit (Nirvana, 1991), qu'il écoutait lui-même durant son adolescence.
Sur l'album Entertainment! du groupe post-punk britannique Gangs of Four, plus spécifiquement dans la chanson Ether, les paroles sont les suivantes : There may be oil/Under Rockall (Il y a peut-être du pétrole/sous Rockall). À noter que Rockall est le nom d'un rocher de l'Atlantique dont les droits d'exploitation attiraient alors toutes les convoitises.
Mais Dettmar entendait : There may be oil/Under our coal (Il y a peut-être du pétrole/sous notre charbon). Parfois, lorsqu'il n'avait pas le moral, il entendait même : There may be oil/Under f*** all (Il y a peut-être du pétrole sous tout ce bordel). Or, cette erreur banale révèle, selon le critique musical, une chose cruciale : la capacité du rock, dont la compréhension bancale ne serait d'après lui pas un accident mais bien une caractéristique constitutive, à nous renvoyer vers notre subconscient ou notre inconscient.
Ainsi, Dettmar estime que les associations de sens hasardeuses que l'on effectue en écoutant du rock nous rapprochent en quelque sorte de la charge politique du son et de la chanson elle-même. Naturellement, l'auditeur serait de cette façon capable de remplir les blancs par son imagination. Exposé à des chansons incompréhensibles, nous deviendrions alors, en transformant les paroles, des co-créateurs. À tel point qu'une véritable puissance pédagogique se dégagerait ainsi du rock'n roll, qui ne nous dirait non pas quoi penser, mais nous apprendrait comment penser.
Sources : chronicle, Slate, pomona.edu