Le rendez-vous annuel des amateurs de lettres se tient comme d'habitude à la porte de Versailles, et le pays invité pour cette 33e édition est Roumanie. Malgré une crise politique qui oppose une partie des auteurs invités au premier ministre Victor Ponta et à son ministre de la culture, Andrei Marga, l'inauguration du salon par le président François Hollande et ses invités - dont Andrei Marga - a bien eu lieu hier soir, le 21 mars, la veille de l'ouverture au public.
La Roumanie, qui a été très durement touchée par la dictature communiste de Nicolae Ceausescu, a donné au monde littéraire certains de ses plus grands auteurs, dont le philosophe pessimiste Emil Cioran, et le dramaturge de l'absurde Eugène Ionesco. Chacun représente un versant de la culture roumaine, sombre et radicale pour Cioran - qui fait dans ses écrits l'apologie du suicide, et s'inspire de Nietzche - et grave et drôle à la fois pour Ionesco, qui fut considéré comme l'un des plus influents auteurs de l'après-guerre, avec Samuel Beckett. Les deux roumains ont passé la seconde moitié de leur vie à Paris, alors que la Roumanie sombrait dans la dictature, d'abord fasciste puis communiste.
Les auteurs roumains contemporains ont le vent en poupe
Après la chute du régime de Ceausescu, la population roumaine a été longtemps le parent pauvre de l'Europe. 50 ans de dictature, ça marque, et le salaire moyen à 500 € brut ne permettant pas d'acheter beaucoup de livres, les ventes à l'intérieur du pays restent très faibles : "1 000 ou 2 000 exemplaires vendus, c'est un succès en Roumanie, explique le professeur d'histoire et spécialiste de littérature roumaine Bernard Camboulives, alors que pour nous c'est peu". Même une auteure à succès comme Florina Ilis doit travailler comme bibliothécaire pour arrondir ses fins de mois. Mais il y a un renouveau de l'engouement du public, selon Marily Le Nir, traductrice en français de romans roumains : "Il y a une génération de nouveaux auteurs qui parlent de thèmes contemporains. Il y a une littérature fantastique, des auteurs qui parlent beaucoup de la vie quotidienne".
Si, dans une année normale, 4 ou 5 ouvrages d'auteurs roumains sont publiés en France, ce sont une soixantaine de livres qui sont parus, entre les reprises d'anciens auteurs et les nouveaux écrivains, depuis janvier 2013. Mais tout n'est pas à mettre sur le compte du Salon du Livre, le renouveau de la littérature roumaine est bien en marche selon les connaisseurs. D'ailleurs les liens entre la France et la Roumanie ne datent pas d'aujourd'hui : selon Nicole Vaillant - directrice de la maison d'édition Vaillant, qui a publié entre autres le livre de Bernard Camboulives et "Une histoire des Roumains" traduit par Marily Le Nir - il y a en Roumanie "un véritable amour de la France et de la langue française". Cela tient à la fois à l'histoire des deux pays (Napoléon III s'en est rapproché pour contourner l'Allemagne) et aux racines communes entre les deux langues, d'origine latine.
Emil Cioran, auteur torturé s'il en est, écrivait à propos du français : "la langue française m'a apaisé comme une camisole de force calme un fou. (…) En me contraignant, en m'interdisant d'exagérer à tout bout de champ, elle m'a sauvé". D'un autre côté, la Roumanie souffre d'une image très négative en France, étant souvent assimilée à la stigmatisation des populations Roms vivant en marge de la société française et à la délinquance. Pour Marily Le Nir, la littérature a un rôle à jouer dans l'image que le reste du monde a de la Roumanie : "c'est un pays de culture, une culture vieille de plusieurs siècles, et ces auteurs la portent".
Barcelone à l'honneur
Après Moscou en 2012, la ville associée à cette édition est la capitale catalane, confrontée à la crise économique et aux manifestations contre l'austérité. Là aussi, c'est une occasion de casser l'image de ville sur le déclin qui la poursuit depuis quelques années. De nombreux auteurs, écrivains en catalan ou en espagnol, viendront représenter la culture de cette ville cosmopolite et mondialement connue. Eduardo Mendoza, Javier Calvo ou Javier Cercas seront les émissaires de cette ville plus connue pour son club de foot et son stade olympique que pour ses écrivains, pourtant nombreux et, pour certains, ayant beaucoup de succès. A découvrir: "La grande embrouille", d'Eduardo Mendoza, aux éditions Seuil, 2013, traduit par François Maspero.
Sources : Rue 89, Courrier International, Salon du Livre