her Scorpion(ne). Vous ne comprenez-pas, vous qui êtes doux(ce) comme un agneau ou une petite biche, pourquoi les horoscopes parlent toujours de vous comme d’un grand méchant loup aux pulsions destructrices et nymphomanes ? Nous non plus. Après quelques recherches, voilà comment la réponse nous est apparue :
Dans un ouvrage paru en 2003 chez L’Herne intitulé Le Signe zodiacal du Scorpion dans les traditions occidentales de l’Antiquité gréco-latine à la Renaissance, l’historien chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, membre fondateur de la Société française de psychologie analytique et psychanalyste Luigi Aurigemma a tenté de retracer sur deux millénaires les origines de cette caractérisation particulièrement négative qui est celle du signe zodiacal du Scorpion.
Le Scorpion dans la mythologie
L’astrologie existe depuis l’Antiquité. La construction de l’archétype du Scorpion est sans doute héritée en grande partie d’une typologie qui était déjà présente dans les mythologies assyro-babylonienne et gréco-latine.
Des hommes-scorpions figurent dans l’épopée de Gilgamesh, l’une des plus anciennes œuvres littéraires de l’humanité qui daterait du XVIIIe siècle avant J.-C. Dans ce récit légendaire de l’ancienne Mésopotamie, il s’agit de gardiens postés devant l’entrée vers le Kurnuji, le royaume des ombres, dans lequel le Dieu-soleil Shamash achève sa course quotidienne et duquel il repart à chaque nouvelle aube. En voyant leur aspect terrifiant, Gilgamesh éprouve le besoin de se cacher le visage… Eh oui, vous n’étiez donc déjà pas très mignon à l’origine.
D’une autre part, la déesse mésopotamienne Išḫara est associée à la constellation du scorpion et au monde chthonien (le monde souterrain). Elle est souvent identifiée à Ishtar, déesse majeure faiseuse de rois, gouvernant la sexualité et la guerre, la maladie et la médecine. Elle a le pouvoir d’associer les opposés et de briser les interdits en provoquant leur inversion. L’un des rites associés à cette divinité était le mariage rituel d’un roi à celle-ci, ce qui nécessitait le sacrifice de l’heureux élu. Le symbole du scorpion est donc lié à cette correspondance entre l’amour et la mort, la création et la destruction.
Plus tard, le mythe grec d’Orion, dont il existe différentes versions, raconte comment le chasseur géant aurait été tué par un scorpion envoyé par le dieu soleil Apollon, la déesse Héra ou encore Artémis. Le scorpion apparaît soit pour châtier la vantardise du chasseur, soit pour protéger Artémis qu’il convoitait. Dans les deux cas il est le garant d’une sanction irrévocable commandée par les dieux. Il faut noter qu'en mythologie comparée Artémis est associée à son "ancêtre" Ishtar, citée plus haut, qui aurait aussi été le modèle des déesses Astarté et Vénus. Le livre II du Poeticon Astronomicon d’Hygin raconte au sujet de la constellation, que "Jupiter plaça le Scorpion au milieu des astres afin que son image serve aux hommes d’exemple pour qu'aucun ne cède à une trop grande confiance en lui-même".
Le Scorpion est donc d’ores et déjà présent aux frontières entre la vie et la mort, et porte en lui l’idée d’une potentielle puissance de destruction, mais aussi celle de la création. C’est une figure du seuil mais aussi un agent de la domination, de la toute-puissance des dieux.
Du mythe et de l’astronomie à l’astrologie
Ptolémée, dans le Tétrabible, amène une distinction entre constellation astronomique et zodiaque astrologique, et il associe au signe du Scorpion la planète Mars, reliée au dieu de la guerre par les Romains. Il mentionne donc l’agressivité destructive du signe zodiacal, mais d’autres astrologues soulignent trois siècles plus tard l’ambivalence de celui-ci et ses envers positifs : qualités généreuses et énergétiques principalement. Le scorpion était donc autant associé à la destruction et à la mort qu’à l’au-delà et au sacré. Ses valeurs guerrières, à un niveau supérieur, étaient de potentielles dispositions à la prêtrise, la prophétie, la magie et la voyance. Le tempérament duel du Scorpion en fait donc un sujet voué à un destin élevé, à des fonctions sacrées ou profanes importantes.
Le contexte chrétien et moralisateur
Durant le Moyen-âge chrétien le Scorpion n’est plus seulement analysé sur le plan des grandes structures cosmiques et psychiques mais aussi suivant une grille morale, instaurant une forte dichotomie entre le diabolique et le divin, le mal et le bien. Le signe est alors associé à l’enfer, aux hérétiques, aux instruments de torture, au serpent du péché originel, à la félonie : en bref, au diable. Il représente tout ce qui peut faire ressurgir l’instinct et ses déviances, le mal, la mort, et tout ce qui met souterrainement en péril l’équilibre instable du monde. Barthélémy l’Anglais, dont l’œuvre est diffusée en Europe du XIIIe siècle au XVIe siècle, ira même jusqu’à attribuer au Scorpion la VIIIe Maison, la Maison de la mort. Vous l’avez compris, le Moyen-âge n’a pas franchement fait de vous un gai luron.
A l’époque de Dante certains astrologues mentionnent cependant une association du signe du Scorpion aux héritages, aux contrepoisons, à la médecine et à l’agriculture.
Scorpion de la Renaissance : Démesure, richesses, contrastes et bipolarité
La Renaissance est une époque particulièrement friande d’astrologie en raison des redécouvertes des textes antiques menées par les philologues humanistes. Sous ces influences, on retourne donc à une conception moins diabolisante du Scorpion dans des textes soulignant d’avantage son héroïsme et son rapport au sacré, qu’il soit licite ou non.
De nos jours, on ne craint donc plus le Scorpion, même s’il traîne derrière lui un très, très lourd passif…
Sources :
Dictionnaire des mythes littéraires de Pierre Brunel, éditions Decitre
Le Signe zodiacal du Scorpion dans les traditions occidentales de l’Antiquité gréco-latine à la Renaissance de Luigi Aurigemma, éditions de L' Herne