Et si, pour lutter contre la précarité d'une population toujours en augmentation, les "sans domicile fixe", il fallait d'abord leur donner un logement ? Peut-être qu'une grande partie des difficultés que rencontrent ces personnes pour se réinsérer, et même, avant ça, pour se soigner, disparaîtraient ?
Une approche totalement nouvelle de la réinsertion et des soins aux personnes vivant dans la rue est en train d'être adoptée par la communauté scientifique ainsi que par les travailleurs sociaux. Inspirée d'un programme pionnier expérimenté depuis 20 ans aux Etats-Unis, le Housing First, cette nouvelle approche semble porter ses fruits dans tous les pays où elle a été testée. Aux Etats-Unis, comme au Canada, où de tels programmes sont développés depuis deux décennies, le taux de personnes acceptant de suivre un traitement médical augmente au fur et à mesure que ces personnes retrouvent un chez-soi. En France, cette expérience prend le nom de Un chez soi d'abord, et est menée depuis 2010 à l'échelle nationale, dans plusieurs grandes villes et auprès de 400 patients (800 sont prévus à terme).
Contrairement à l'implantation d'une salle d'injection de drogue sous surveillance (la fameuse "salle de shoot" qui devrait faire son apparition à Paris), qui est loin de faire l'unanimité chez les riverains, les soignants, les travailleurs sociaux, et encore moins chez les décideurs politiques, la réinsertion par le logement fait l'objet d'un début de consensus à la fois chez les décideurs, les chercheurs, les soignants et les accompagnateurs. Les expériences menées en France recueillent l'approbation des riverains, ce qui constitue en soi une réussite.
Redevenir indépendant, avoir un chez-soi, un premier pas vers l'acceptation des soins
Les études montrent qu'une grande partie des gens vivant à la rue ou en foyers sont atteint par des troubles psychiatriques : psychose, schizophrénie, addictions et autres. 32 % des personnes sans logement présentent au moins un trouble psychiatrique sévère, et 21 % un trouble de la personnalité ou du comportement. Or, la réinsertion passe par les soins, qui sont beaucoup plus difficiles à offrir aux personnes vivant dans la rue qu'aux personnes disposant d'un logement. Est-ce le fait de vivre dans la rue qui favorise le développement de troubles, ou au contraire l'existence de tels troubles qui pousse ces personnes à la précarité et à la rue ?
C'est Vincent Girard, un psychiatre travaillant à Médecins du monde, à Marseille, qui inaugure cette nouvelle approche en 2007 après avoir découvert la médecine communautaire en Amérique du nord. Ce type d'approche valorise les savoirs des malades, et c'est à partir de ce principe que se sont développés les programmes du type Housing First. L'hypothèse de base est que c'est par l'accès immédiat et sans condition à un logement que se met en place "l'amélioration de la qualité de vie", préalable à toute prise en charge efficace. Après avoir été validé par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, le programme est transformé en étude nationale et doté de moyens considérables en 2010.
Pour les accompagnateurs, ce programme marche plus ou moins bien en fonction de la personne et de son parcours. Certains reprennent des soins, d'autres non, mais aucun n'est retourné à la rue pour l'instant. Par contre, sur le plan de l'intégration, l'expérience est déjà une réussite, avec des voisins qui acceptent la proximité de personnes souffrantes, en voie de réhabilitation et qui jouent un rôle de régulateurs. Il faudra encore attendre une année pour avoir les résultats scientifiques de l'étude, mais déjà "le projet montre qu'on peut faire des choses et que parfois cela marche", se félicite le Dr Mercuel, responsable de l'accueil précarité à l'hôpital St Anne, cité par Libération.
Sources : Libération, France Inter