Un vendeur de chapeaux pourrait aisément préciser son tour de tête ainsi que la coupe de son couvre-chef, pour aider au maximum les clients dans leur choix. De la même manière, des vendeurs de jeans indiquant au bout d'un petit badge la coupe et la taille de leur pantalon orienteraient davantage les hésitants. Mais si cette technique marketing peut être pratique dans certains cas, elle peut aussi dépasser les limites de l'intimité et de la décence, notamment lorsqu'elle est imposée à des vendeuses de lingerie.
Une boutique de lingerie située en Suède, ayant trouvé cette idée fort intéressante, a demandé à ses vendeuses de porter un badge informant le client de leur nom, la taille de leur tour de poitrine, le bonnet et en parallèle la taille du soutien-gorge.
Briser l'aspect froid de la vente
Ce petit badge informatif permettait à la cliente indécise, et ayant une physionomie similaire à l'une des vendeuses, de mieux orienter ses recherches, sans passer par le stade fastidieux de l'essayage en cabine. Car bien sûr, chaque marque détient ses propres tailles. Même si celles-ci sont globalement normées, une taille S dans telle boutique ne concordera pas nécessairement avec la taille S d'une autre boutique. Aussi, pour pallier l'étape d'incompréhension, la grande marque Change a décidé d'aiguiller ses clientes. De cette manière, les clientes pouvaient constater d'elles mêmes le rendu des différentes coupes de soutien-gorge.
En effet, les coupes ont des noms propres à chaque marque, et varient, et la cliente nouvelle, se sentant perdue, risque de repartir sans rien n'avoir acheté. Aussi, ce petit badge, discret, avait pour vocation de désépaissir le mystère qui entoure le vêtement lorsque celui-ci est présenté dans des tailles multiples aux critères nombreux. Les vendeuses, de taille, poids et physionomie différents, couvraient alors un grand nombre des modèles proposés, facilitant l'achat. Enfin, cette technique marketing a pour effet de créer une certaine proximité entre les vendeuses et les clientes en brisant l'aspect froid de la vente : il ne s'agit plus d'une simple transaction, mais d'un échange de conseils, visant à rassurer l'inquiète et la timide. Cependant, cette technique de vente pratico-pratique a été jugée intrusive et qualifiée de discrimination sexuelle.
Il y aurait donc une limite au marketing ?
Une employée de la plus grande boutique de la chaine s'est vue contrainte de porter durant un an ce badge, malgré ses nombreuses protestations. Finalement, considérant qu'il s'agissait ni plus ni moins de discrimination, cette dernière a décidé de porter plainte. Lors du procès aux prud'hommes, la vendeuse a expliqué son ressenti. Les juges ont estimé que la dignité de la personne avait été "violée" : son travaille consistait à vendre des articles et non à étaler ses mensurations.
À noter qu'une telle violation n'est pas comparable, par exemple, au port obligatoire d'une tenue qui pourrait être jugée abusive, allant parfois à la limite de la décence : la présence d'un badge informant les clients et la direction de ce type de détails privés, annihile l'intimité des vendeuses. Dans cette situation, la vendeuse n'est plus recrutée pour ses services et son travail mais pour son corps en soi, devenant un objet publicitaire. Selon un document interne à la chaine, qui a été cité au procès, il ne s'agissait que de "signaler que nous avons un large choix et sommes désireux de proposer la bonne taille". Cette explication n'a pas suffit puisque la chaine a été condamnée. Aussi, en plus de payer l'intégralité des frais du procès de la plaignante, cette dernière bénéficiera de 6 000 €. Jaana Paalsson, qui représentait la vendeuse, a déclaré à l'agence de presse TT qu'il s'agissait d'une très belle victoire : "c'est très, très bien", explique-t-elle, "c'est une grande victoire pour l'intégrité des employées", rapporte Libération.
Chez nous, ca donnerait quoi ?
Ce fait, survenu en Suède, est étonnant dans un pays qui fonde sa réputation sur l'égalité des sexes accomplie, aboutie, généralisée. En France, ce type de situation ne pourrait aujourd'hui plus exister : s'il ne s'agit pas tout à fait de discrimination à proprement parler (la discrimination consistant en un traitement particulier d'une ou plusieurs personnes vis-à-vis d'autres sans raison), il s'agit en revanche d'atteinte à la dignité de la personne, conditions de travail abusives ou encore atteintes à la liberté d'autrui. De plus, un contrat de travail est nul si ce dernier impose certaines clauses illégales.
Sources : Libération ; Legifrance