La liste des médicaments dont l'usage est dénoncé par les médecins s'allonge, avec la sortie de "La vérité sur le cholestérol", un livre signé Philippe Even et Bernard Debré, les médecins à la retraite qui ont écrit le "Guide des 4 000 médicaments inutiles ou dangereux" l'année dernière. Selon ces deux spécialistes, les statines - une famille de médicaments censés réduire le taux de cholestérol dans le sang - qui sont prescrits à grande échelle aux personnes présentant un taux élevé, ne seraient pas efficaces dans 90 % des cas, et peuvent même être dangereux.
En effet, cette spécialité qui a eu les faveurs des médecins jusqu'à présent pourrait se révéler largement surconsommé et prescrit à mauvais escient. Son action thérapeutique est prouvée pour une petite minorité des cas de cholestérol pathologiques, mais ces cas ne représentent, selon les auteurs, qu'un petit 10 % des prescriptions. Dans 90 % des cas, l'action de ce médicament sur le taux de cholestérol est quasiment nulle, tout comme celui sur les risque d'infarctus, de crise cardiaque, d'embolie, d'accident vasculaire-cérébral (AVC) ou de thrombose.
Vigilance ou surestimation du risque ?
Les départements de pharmacovigilance des institutions publiques ont pointé du doigt l'absence de recherches en Europe pour montrer les bienfaits de ces médicaments, qui ont pourtant commencé à être prescrits en masse dès la fin des années 90. C'est le cas du professeur Bernard Bégaud, qui déclarait en 2005 à Libération "Une bonne partie de ces prescriptions sont inutiles, plus de 20 % ne devraient pas avoir lieu". Dans les faits, une grande partie des études qui ont pu prouvé l'efficacité de cette spécialité se sont déroulées en Amérique du Nord, où les maladies cardiovasculaires sont beaucoup plus fréquentes qu'ici. Mais dès que les essais cliniques ont approuvé, "le bulldozer commercial" s'est mis en marche, et "dans les années 2000, il était impossible de critiquer les statines, les essais se faisaient dans les pays où le risque est le plus élevé, et ne prenaient pas en compte les patients qui ne répondaient pas bien", estime le Pr. Bégaud. "Bref, les résultats étaient biaisés", conclut-il.
Aujourd'hui, plus de 6 millions de patients en France prennent des statines, pour un coût immense et un bénéfice réduit : dès 2002, une analyse sur le rapport bénéfice/risque concluait déjà à un intérêt limité aux personnes présentant un risque avéré. Les prescriptions ont pourtant continué pour ceux qui présentaient un risque primaire (avec un taux de cholestérol élevé, mais pas d'antécédent vasculaire) et aux personnes de plus de 65 ans, qui n'ont pourtant pas du tout le même métabolisme que les autres et n'ont pas été ciblés par une étude spécifique. Surtout, "on a dépensé 2 milliards d'euros par an pour prolonger de 5 ans la vie de 250 personnes âgées de plus de 65 ou 70 ans", en prescrivant à des millions d'autres un médicament inutile et ayant des effets secondaires importants, estime le Pr. Bégaud. "Il serait temps de mettre en place une véritable stratégie thérapeutique au lieu de réagir au gré des scandales."