Depuis quelques années, Game of Thrones, l'adaptation télé de la saga de George R. R. Martin, ne cesse d'essaimer les records. Non contente de faire partie des programmes les plus piratés de l'histoire du web, la série atteint des sommets en matière d'audience et suscite des centaines de milliers de commentaires sur les réseaux sociaux à chaque nouvel épisode. Résultat, la tendance Game of Thrones fait maintenant figure de repère. Pour les geeks mais aussi pour les autres. Comment expliquer ce phénomène ?
Alors que la chaine HBO vient d'entamer la diffusion de la quatrième saison de Game of Thrones, la série suivie par des millions de téléspectateurs fait une nouvelle fois trembler le web comme nulle autre. Un succès sans pareil que le responsable du site non officiel game-of-thrones.fr, Jean-Baptiste Gouttes, explique par le contexte pour le moins favorable – entendre l'explosion des réseaux sociaux – dans lequel est arrivée la série. Mais au-delà de ce tremplin évident, quels sont les ingrédients intrinsèques qui fondent cette fascination pour Game of Thrones ? Et qu'est-ce que c'est, au juste, Game of Thrones ?
Quand la littérature de l'imaginaire prend sa revanche
D'une part, il faut bien saisir que la fantasy – genre qui renvoie aux littératures de l'imaginaire – a ces dernières années largement pris le pas sur la science-fiction, comme le fait remarquer l'écrivain et philosophe Tristan Garcia. Un glissement provoqué entre autres par le déclin du programme spatial américain, et dans son sillage par la fin du rêve de colonisation d'autres planètes. Entre temps, c'est tout le décorum cyberpunk, qui fait encore aujourd'hui le bonheur des geeks adolescents, qui s'est petit à petit installé dans notre quotidien, notamment via Internet. Mais cet univers – qui a en gros débuté avec les livres de Philip K. Dick pour se terminer avec Matrix – s'est banalisé, et n'intéresse aujourd'hui plus les foules.
C'est à ce moment là, à la toute fin des années 90 et surtout début 2000, qu'a émergé un nouvel imaginaire, cette fois non pas tourné vers l'avenir comme la SF, mais dans le passé. Une conjoncture culturelle qui a permis à la fantasy de revenir au premier plan, dans les livres mais surtout au cinéma, avec la fameuse trilogie de Peter Jackson, Harry Potter ou encore Eragon. D'ailleurs, il ne fait à ce titre aucun doute qu'Avatar est davantage un film de fantasy que de science-fiction.
De fait, pas si étonnant, donc, de voir arriver le genre décliné en série avec Game of Thrones en 2011, quinze ans après le début de la série de romans éponyme – scénario ô combien palpitant – initiée par George R. R. Martin. À noter que la télévision n'était jusqu'alors jamais parvenue à produire une série de fantasy au niveau des œuvres littéraires et cinématographiques du genre. Certes, un certain nombre de fans peuvent apprécier dans une certaine mesure les séries Xena ou BeastMaster, mais Game of Thrones repousse les limites nettement plus loin.
Game of Thrones ou l'angoisse du monde contemporain
En un sens, Game of Thrones est une réponse au Seigneur des Anneaux. Mais alors que la trilogie de Tolkien narre le basculement diffus d'un monde vers le désenchantement, le départ des dieux et la victoire de l'homme, Game of Thrones dépeint à l'origine un monde laïc gouverné par les batailles politiques et où la dimension chevaleresque – d'Eddard Stark à Jaime Lannister en passant par Brienne – n'est plus d'actualité. Ainsi, l'enjeu de la série est de mettre en scène le retour du religieux, notamment par le biais de R'hilor (le dieu de la lumière adoré par les prêtres rouges et Mélissandre) ou du dieu noyé des îles de Fer.
Ce divertissement de masse s'amuse en définitive à représenter le sentiment de paranoïa qui se dégage de notre propre culture occidentale, et ce à grand renfort de motifs archaïques brisant l'image de la modernité. Tant et si bien qu'au final, Game of Thrones sonne comme un cri d'effroi face au monde contemporain, un sentiment de peur face à la modernité.
Une série qui ne serait rien sans ses costumes et ses décors
Impossible de parler de Game of Thrones sans évoquer ses costumes et décors. Pourquoi ? Tout simplement parce que la série ne serait certainement rien sans ces derniers. Une chose est sûre, en tout cas : le mythe entourant le feuilleton télévisuel s'explique également par le labeur des costumiers, maquilleurs, coiffeurs et autres chefs décorateurs. Si la chose la plus immédiatement repérable se situe dans les décors de Deborah Riley, la décoratrice en chef, et dans une moindre mesure dans les effets spéciaux, la grande force de Game of Thrones tient dans les mains expertes à l'origine des sidérantes évolutions physiques des acteurs.
Alors que la série n'a pas encore remporté de prix pour la créativité de ses costumes – ce qui ne l'empêche pas de gagner tous les ans depuis 2011 celui de la meilleure série dramatique –, l'univers de Game of Thrones repose sans aucun doute possible sur les superbes tenues pensées et dessinées par Michele Clapton, par ailleurs brodées par Michele Carragher à la main parfois directement sur la peau des acteurs. Un travail de fourmi – chaque personnage dispose de costumes spécifiques empreints d'une culture imaginaire particulière et variant en fonction des climats – dont dépend une grosse partie de la crédibilité des personnages.
Performance qui n'a toutefois pas empêché certains costumes de faire l'objet de critiques de la part des fans, qui jugeaient certaines influences trop contemporaines. Quolibets dont fut gratifiée la robe de la saison 2 de l'actrice Natalie Dormer alias Margaery Tyrell, l'épouse du cruel roi Joffrey. Une tenue visiblement fortement inspirée d'une robe réalisée pour la chanteuse Björk par le styliste Alexander McQueen.
Une série qui fait couler (beaucoup) de sang
Si vous lisez ou regardez la série, vous n'êtes donc pas sans savoir que les mises à mort soudaines et autres rebondissements un peu sanglants y sont monnaie courante. Il faut dire que George R. R. Martin adore par-dessus tout secouer les lecteurs en tuant brutalement un certain nombre de personnages clés. À tel point que plusieurs centaines de morts sont déjà répertoriés à travers la saga.
Ce qui a poussé le site Studio Incandescence à relever tous les personnages et leurs morts dans les livres via une infographie titanesque. Ce qui prouve que l'espérance de vie n'est vraiment pas élevée à Westeros… Méfiance tout de même pour les personnes ne suivant que la série télévisée, car un certain nombre d'éléments contenus dans cette infographie risquent de vous spoiler la saga.
Une généalogie pour le moins alambiquée, une histoire retorse
Enfin, si vous peinez vous aussi à vous y retrouver parmi les nombreux clans et familles de Game of Thrones, et vous perdez dans les liens qu'ils ou elles entretiennent, le site hauteslides a réalisé une infographie clarifiant une bonne partie de ce qu'il faut savoir. En dépit d'une ou deux imprécisions que les fans ne manqueront pas de relever, la performance est à saluer. Reste qu'encore une fois, un certain nombre d'informations non encore divulguées dans la série y sont susceptibles de bousculer ceux n'ayant pas lu les livres…
Game of Thrones en chiffres
12 : c'est le nombre de Maisons (ou familles) s'affrontant dans le monde Westeros.
60 : c'est le nombre de personnages clés ou récurrents apparus lors des trois premières saisons de la série.
15 : c'est le nombre, en millions d'exemplaires, de livres issus de la saga littéraire vendus à travers le monde.
1 minute et 41 secondes : c'est la durée du générique, à contre courant des génériques courts des séries des dernières années (Mad Men, Breaking Bad, etc.). Une marque de fabrique qui a par ailleurs permis à la série de marquer le paysage télévisuel.
3 : c'est le nombre de chaînes distinctes diffusant la série en France (OCS City, Canal +, D8).
142 : c'est le nombre de nominations reçues par la série télévisée Game of Thrones à l'international.
51 : c'est le nombre de nominations (sur les 142) gagné par la série.
40 : c'est le nombre d'épisodes que comptera la série télévisée à l'issue de la saison 4.
5,2 : c'est le nombre de téléspectateurs moyen par épisode ayant visionné la troisième saison de Game of THrones sur HBO en 2013.
La saison 4 bat déjà tous les records d'audience… et de téléchargement
Sur 2014, la série de HBO semble déjà bien partie pour garder son titre de série télévisée la plus téléchargée de l'année, et ce malgré la multiplication des offres légales aux quatre coins du monde. Diffusé le 6 avril aux États-Unis, le premier épisode de la saison 4 a déjà été téléchargé via BitTorrent plus d'un million de fois en l'espace d'une demi-journée à l'issue de sa diffusion. Or, nul doute que le blackout du service HBO Go, le service de VOD de HBO, le jour de la sortie de la nouvelle saison ait contribué à augmenter ces chiffres.
Quand à l'épisode 2, diffusé dimanche 13 avril, il a à son tour battu un nouveau record. Dès la fin de sa diffusion, près de 200 000 personnes de par le monde partageait l'épisode via BitTorrent, selon le site TorrentFreak. Une première. Ce même site estime par ailleurs que l'épisode 2 a été téléchargé illégalement 1,5 million de fois le lendemain de sa diffusion sur HBO. Mais alors que la France se plaçait l'an passé à la cinquième position des plus gros téléchargeurs de Game of Thrones, elle ne figure cette fois pas dans le top 10, dominé cette année par les Américains, Britanniques, Canadiens et Néerlandais.
Qu'importe, la folie Game of Thrones ne semble quoi qu'il en soit pas prête de s'estomper de sitôt. Gageons toutefois que George R. R. Martin ne tardera pas à livrer le prochain volume de la série, attendu de pied ferme par les fans depuis près d'un an et demi...
Sources : deadline, game-of-thrones.fr, hauteslides, torrentfreak