Si demain, à la suite d'un accident, vous perdiez l'un de vos membres, ou une partie quelconque de votre corps, vous serez bien obligé de faire avec. Ou plutôt sans. À moins, bien sûr, que l'on vous greffe l'une de ces prothèses bioniques très au point, ou que vous soyez un ver de terre ou une salamandre évidemment, ce qui risque cependant d'être plus compliqué. Ces petits êtres ont une chance incroyable : ils régénèrent certaines parties de leurs corps, lorsque celles-ci ont disparu. C'est aussi le cas de l'alligator, dont la repousse des dents est quasiment infinie, laissant envieux nombre de boxeurs.
Les alligators renouvellent chacune de leurs dents une cinquantaine de fois quand l'humain, lui, ne peut le faire qu'une seule et modique fois. Des scientifiques se sont donc penchés sur ce processus incroyable, existant chez de nombreux reptiles et poissons, afin de voir s'il est possible de le recréer chez l'Homme.
Fini les dents qui tombent, la Petite Souris au chômage
Si avoir une mâchoire de crocodile pourrait être désagréable, bénéficier du fonctionnement de régénération plutôt que des crocs pourrait être très utile. Aussi, le professeur Cheng Ming Chuong a étudié ce processus. Auteur principal de l'étude publiée lundi 13 mai 2013 dans les Actes de l'Académie Nationales des Sciences, il semble bien décidé à améliorer l'humain. Après les avoir étudiées, il a constaté que les dents des crocodiles étaient assez similaires aux nôtres.
Leur repousse s'organise sur 3 niveaux : lorsque la dent adulte tombe, l'alligator en a une seconde prête à l'emploi ; puis une cellule souche attend sur une troisième rangée, si besoin se fait. L'idée serait donc de reproduire le même schéma chez l'humain : modifier les cellules des dents en cellules qui se reproduiraient sans cesse, afin que la perte d'une dent ne soit plus définitive. Pour cela, il faudrait injecter à l'Homme des cellules souches de crocodile, dont le principe est la multiplication quasi infinie, pour que les dents en suivent le processus. Malheureusement, la médecine régénérative sur les humains n'est pas encore au point actuellement.
Mais Chuong est convaincu qu'un jour, les médecins auront assez de connaissance pour pouvoir la maitriser. En effet, les essais cliniques sont en cours, après quelques succès sur les singes et les souris. Cependant, certains problèmes techniques sont à surmonter : ainsi, il est nécessaire de limiter la pousse des dents afin qu'elles ne dépassent pas de la bouche, et limiter le nombre, car 3 rangées de dents ne siéraient guère à un humain. Cette avancée changerait radicalement deux choses : les dentistes feront faillite et les photos de familles seront réussies.
Régénération : entre le règne animal et la survie de l'Homme
Chuong met en parallèle la régénération animale avec le processus humain : du coté animal, certaines salamandres ont la chance de voir leurs membres repousser si ceux-ci sont atrophiés, comme la queue du lézard ou celle du ver de terre, les pinces du crabe comme du homard, ou encore les dents du requin. En revanche, chez les animaux à sang chaud, ce processus n'existe que pour les ongles (les griffes), la peau et les poils disgracieux (cheveux, fourrure, crinière, barbe…).
Avant le travail de Chuong, de nombreux scientifiques se sont penchés sur le sujet. En 1920, une équipe de chercheurs a observé une salamandre capable de faire repousser ses membres. Cette dernière a récupéré un bras, alors que celui-ci était tranché net. Dans la repousse, tout y était : os, chair, peau, nerfs, tendons… Un obstacle s'est alors dressé devant les chercheurs : quelles sont les cellules régénératrices ? S'agit-il des cellules d'os, de nerf, de peau, de muscle, de moelle épinière…?
En 2009, une équipe germano-américaine a éclairci le mystère : en injectant un liquide fluorescent dans chacune des cellules, afin de voir laquelle était responsable de la recréation. Réponse : elles le sont toutes, si elles sont à proximité de la zone amputée. Geneviève Rougon, directrice de l'Institut de biologie du développement à Marseille-Luminy s'émerveille ainsi :"Si l'on parvient à comprendre ce phénomène, on pourrait tenter de le reproduire en laboratoire, éventuellement sur des cellules de mammifères. Les retombées thérapeutiques pourraient alors être très importantes".
Et si l'humain (re)devenait animal ?
En effet, à la fin des années 1980, Stephen Badylak, spécialiste de pathologie animale, découvre après une opération sur un chien, qu'un bout de l'intestin qu'il lui a greffé sur l'aorte, s'est changé en artère. Incroyable. Après de fastidieuses recherches, il découvre que ce ne sont pas les cellules en soit qui ont provoqué ce miracle, mais ce qui retient les cellules : la matrice extracellulaire. En enlevant toutes les cellules qu'elle retient, il a obtenu une matière blanche, qu'il transforma en poudre.
En 2007, Lee Spievack se coupe le bout du petit doigt. Son frère, ancien collaborateur de Badylak, appelle ce dernier et lui demande cette fameuse poudre. Il conseille ensuite à son frère de s'en mettre sur le doigt tous les deux jours. Bientôt, la phallange coupée avait entièrement repoussé. Nerfs, ongles et même les empreintes, tout y était. L'expérience a été réitérée sur la jambe d'Isaias Hernandez, qui a récupérée la totalité de ses muscles, os, tendons, et davantage de force, d'endurance et de puissance.
Or, outre les difficultés biologiques et matérielles, les scientifiques se heurtent aux limites de la bioéthique. En effet, un homme aux cellules animales est-il encore vraiment humain ? Et quelles seront les conséquences sur sa descendance ? Mais surtout, jusqu'où ira la relation humain-animal et comment en fixer les limites ?
Sources : PNAS.org ; US National Library of MedicineNational Institutes of Health ; News Discovery