C'est une étude amusante, qui fut lancée en 1999 : on confie à un singe la gestion d'un portefeuille d'actifs financiers (simple, composé uniquement des titres tirés d'un seul indice), pour voir si celui-ci réussit à obtenir de meilleurs résultats que l'indice lui-même. Un indice avait été créé pour mesurer les résultats de l'expérience : le Monkeydex.
La guenon en charge de l'investissement avait 6 ans, s'appelait Raven et prenait ses décisions en lançant des fléchettes sur un tableau portant les noms des entreprises cotées au Nasdaq, l'indice des valeurs technologiques où s'échangent les titres des sociétés liées à Internet. Cette expérience fut concluante, jusqu'à l'éclatement de la bulle Internet quelques mois plus tard. Pendant cette période, le Monkeydex avait été plus performant que de nombreux gestionnaires de fonds d'investissement, avant que le krach des valeurs de l'Internet ne fasse s'écrouler l'indice et qu'on mette fin à l'expérience.
Début avril, la Cass Business School (qui dépend de l'Université de Londres) a rendu publics deux articles sur une expérience similaire portant sur la supériorité du hasard sur les choix humains. Cette fois l'expérience reposait sur une simulation informatique des choix du singe, supposés aléatoires, qui consistait à sélectionner 10 millions de fois 1000 actions d'entreprises américaines, et à comparer leur évolution de 1968 à 2011 avec celle d'un véritable indice boursier (par exemple, le Dow Jones ou le Standards & Poors). Conclusion tirée par l'auteur de l'étude, Andrew Clare : "La quasi-totalité des 10 millions de chimpanzés gestionnaires ont réalisé de meilleurs performances que les indices", qui reflètent l'action de gestionnaires de fonds expérimentés.
Intelligence du singe, ou bêtise - humaine - du banquier ?
En anglais, l'expression "monkey business" signifiait jusque là "bêtises" ou "magouilles". Elle pourrait bien devenir synonyme de sagesse, ou de performance, même si les conclusions de cette étude sont loin de prouver la bêtise des gestionnaires. En effet, les auteurs de l'étude soulignent que si les choix sont fait arbitrairement par le singe, les marchés sur lesquels il achète et vend ses actions sont, eux, très rationnels. C'est donc sur leur propre efficacité que repose le succès de la démarche qui consiste à acheter et vendre de façon aléatoire. Si les singes arrivent à gagner de l'argent en lançant des fléchettes, c'est grâce à l'efficience des marchés qui découle de l'intelligence des gestionnaires d'actif.
Mais alors, direz-vous, si le gestionnaire est plus intelligent que le singe, comment se fait-il battre à son propre jeu par cet animal ? La réponse à cette question est complexe, et impose de recourir à la théorie de l'efficience des marchés. Celle-ci ne suppose pas que les marchés sont parfaits, mais que l'imperfection des marchés (les erreurs d'évaluation des prix par exemple) est due à l'imperfection des informations disponibles. Or, si le singe agit de façon aléatoire, le gestionnaire, lui, est obligé de tenir compte des informations qu'il possède, même quand elles sont erronées (ce qu'il ne sait pas, a priori).
Le singe, le banquier et le mouton
Là où la situation se corse c’est quand la communauté des gestionnaires de fonds se fait assister dans ses prises de décisions par des logiciels basés sur les mêmes algorithmes qui conseillent au même instant d'acheter ou de vendre. D'où la question de Jean-Pierre Bourgès, blogueur, "Sommes-nous malins comme des singes … ou bêtes comme des ânes ?". Il défend avec ferveur l'âne contre ceux qui prétendent qu'il s'agit d'une bête stupide, et attaque le comportement des gestionnaires de fonds qui s'apparente, selon lui, à un troupeau de moutons.
De même, si les singes achètent sans distinction les titres qui sont à la hausse ou à la baisse, le gestionnaire (ainsi que toute la communauté financière) achète en masse quand un titre est orienté à la hausse (soit qu'il est sous-évalué, ou que ses performances soient exceptionnellement bonnes) et vend en masse quand il baisse. Du coup, l'impact du gestionnaire sur le marché et sur les choix effectués par la communauté financière est important, et il engendre un phénomène de compétition qui détruit le profit, alors que le singe agit de manière non coordonnées et indépendante, avec un effet réduit sur le prix. Dans le cas du banquier, on peut assimiler ce comportement à celui du mouton de panurge, alors que le singe agit plutôt comme un âne, têtu et lent, mais jamais bête.
Sources : Libé, Blog Médiapart, La Tribune, Cass University (en anglais)