Les tous premiers récits
"Il y a au Brésil une bête ravissante que les Sauvages appellent Janou-ara, laquelle est presqu'aussi haute de jambes qu'un lévrier, mais ayant de grands poils autour du menton la peau fort belle et bigarrée comme celle d'un once, elle lui ressemble aussi bien fort en tout le reste". Voyage par Jean de Lery. Paris, 1578.
"Le janouar est une espèce d'once grande comme un dogue d'Angleterre, ayant la peau fort riche et toute marquetée". Mission des Capucins, par le Père d'Abbeville, Paris.
Avant de s'appeler jaguar, le jaguar avait porté tous les noms
Les conquistadors qui étaient sûrement plus férus dans le domaine militaire que dans celui de la zoologie avaient allégrement troublé les esprits en appelant tous les grands félins du Nouveau-Monde, tigres ou lions, ocelots ou même gros chats. Cette forme d'ignorance naïve se retrouve dans le vocabulaire moderne de nos cousins québecquois dont les ancêtres débarquant avec Jacques Cartier baptisèrent avec les mots qui leur étaient connus des animaux nouveaux pour eux. C'est ainsi que les outardes furent appelées bernaches ; les cerfs de Virginie, chevreuils et les gloutons, blaireaux.
C'est Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon en 1754 qui d'une plume qui faisait autorité baptisa notre animal de son nom définitif : Jaguar.
Il a emprunté ce mot à la langue amérindienne des Tupis qui l'appelaient janou-ara, l'animal bondissant.
Les jaguars ne sont pas nés au moment de leur "découverte" par les européens. Au Mexique, les Aztèques appelaient le jaguar "ocelotl".
De nombreuses sculptures de félins menaçants ont été retrouvées représentant des jaguars ou des pumas. Chez les Mayas ses attributs de force, de puissance, et ses qualités de chasseur nocturne sont des signes de sa filiation avec les dieux.
Il est en bonne place dans les traditions d'Amérique centrale et du Sud, du Mexique jusqu'au Pérou, chez les Aztèques et les Mayas jusqu'aux Incas du 16ème siècle. De nos jours, le sang de janou-ara est réputé transmettre la force et la puissance à un adulte ou un nourrisson qui le boira.
Il existe encore des groupes ethniques qui lors de cérémonies se couvrent d'une peau de jaguar et portent des griffes et des canines pour se protéger et s'investir de ses qualités de ruse et de puissance.
Les premiers écrits occidentaux à propos des jaguars
Récit de Sodini de Manoncour à la fin du XVIII éme siècle en Guyane
Ces Sauvages étoient cependant habitans de l'intérieur des terres, et connoissoient par conséquent le danger qu'il y avoit pour eux ; j'assure qu'ils ne prenoient aucune précaution, et qu'ils paroissoient fort peu émus, quoiqu'entourés de ces animaux. Je ne puis m'empêcher de remarquer ici que ce dernier fait, prouve, comme je l'ai dit, que ces animaux ne sont pas fort dangereux, du moins pour les hommes.
La chair des jaguars n'est pas bonne à manger ; ils font la guerre avec le plus grand avantage à toutes les espèces de quadrupèdes du nouveau continent, qui tous le fuient et le redoutent. Les jaguars n'ont point de plus cruel ennemi que le fourmillier ou tamanoir, quoiqu'il n'ait point de dents pour se défendre ; dès qu'il est attaqué par un jaguar il se couche sur le dos, le saisit avec ses griffes qu'il a d'une grandeur prodigieuse, l'étouffe et le déchire.
Alexandre Von Humboldt au début du 19ème siècle
En débarquant un jour, il vit un énorme jaguar couché sous un arbre, qui s'apprêtait à déguster un capibara qu'il tenait sous sa patte. Non loin, une foule de vautours observait. Le félin, alerté par le bruit du bateau, abandonna sa proie pour se cacher et les vautours s'approchèrent. Visiblement furieux, le jaguar réapparut, bien décidé à ne pas se laisser ravir son festin, qu'il emporta dans la forêt.
Th. Lacordaire, La Revue des deux mondes 1832
"On fait bien des contes sur la façon dont le jaguar prend des poissons ; On dit qu'il les attire par l'écume de sa salive ou par les coups de queue qu'il donne sur l'eau".
F. Roulin, Souvenirs de voyage
"J'étais caché sur plage au confluent de l'Orénoque et du Méta, lorsque j'aperçus un jaguar qui s'avançait en rampant pour couper le chemin à un caïman étendu sur le sable, et prenant le soleil. D'un bond il le saisit, mais le caïman se jetant à l'eau, et le jaguar ne lâchant pas prise, tous les deux disparurent à la fois. Un temps assez long s'écoula, je crus le jaguar noyé lorsque je le vis réapparaitre mais seul. Il se roula sur le sable, puis se rejeta dans l'eau. Il y resta encore longtemps et ressortit encore de même, cette seconde fois, sans sa proie. Ce n'est qu'à la troisième fois qu'il attira sur le rivage le caïman étranglé.
Michelet, Insecte 1857
"Un sifflement arraché comme d'une poitrine déchirée (...) répand la terreur. Il indique la présence du rôdeur aux griffes aiguës, du rapide jaguar".
Le jaguar dans la littérature contemporaine
J'ai chassé le jaguar dans ma jeunesse. Et j'ai usé de fosses à jaguar, meublées d'un agneau, hérissées de pieux et couvertes d'herbe. Et quand à l'aube je m'en venais les visiter j'y trouvais le corps du jaguar. Et si tu connais les moeurs du jaguar tu inventeras la fosse à jaguar avec ses pieux, son agneau et son herbe.
Saint-Exupéry, Citadelle, 1944.
Le Jaguar est un livre de Loup Durand, adapté au cinéma en 1963 par Jésus Franco.
Mon oncle le Jaguar est un livre du portugais Joao-Guimares-Rosa.
Au cinéma
Le Jaguar est un film de Francis Veber en 1996 avec Patrick Bruel et Jean Réno
Les jaguars auraient pu s'appeler les lions
En 1935, fut fabriquée la première automobile d'une lignée qui brille encore par ses performances et son élégance. Cette "Jaguar" aurait pu naturellement s'appeler Lion puisque son créateur, le hasard est facétieux, avait pour patronyme : Lyons, Williams de son prénom.
Article réalisé par Jean-Pierre Fleury.