Le cachalot est un adversaire terrible
Lorsque la pêche de la baleine était rudimentaire (harpons et petites embarcations), le cachalot représentait un énorme danger pour la vie des chasseurs téméraires contre lesquels il pouvait combattre avec une force et une agressivité devenues légendaires. Les moyens modernes de chasse (bateaux de fort tonnage, canons) ne lui laissèrent par la suite plus aucune chance. Heureusement, cette espèce maintenant protégée voit ses stocks se renouveler et le cachalot est de nos jours, l'espèce de cétacés de grande taille la mieux représentée.
Moby Dick
C'est évidemment la "baleine blanche" Moby Dick, qui illustre le mieux la place du cachalot dans notre culture. Le roman d'Herman Melville en fait un personnage presque mythique. Que l'on considère son anatomie ou ses moeurs, tout est surprenant chez cet animal. Le cachalot est mystérieux et inquiétant, surtout quand on sait que c'est un des rares cétacés qui se retournent sans complexes sur les bateaux lorsqu'il est chassé.
Extraits de Moby Dick d'après H. Melville paru en mars 1850 :
... mais ne serait-ce pas Moby Dick qui vous a emporté la jambe ?
- Qui t'a dit ça ? s'écria Achab, puis il se tut un instant. Oui, Starbuck. Oui, mes braves, tous mes braves, c'est bien Moby Dick qui m'a démâté !... Puis levant les bras au ciel, il hurla vers l'infini ses imprécations : Oui, oui ! Et je le poursuivrai au-delà du cap de Bonne-Espérance, au-delà du cap Horn, au-delà du maelström de Norvège, au-delà du brasier de l'enfer, mais je ne me rendrai pas ! Et c'est pour cela que vous êtes là, les gars ! Pour livrer la chasse à ce cachalot blanc dans les deux océans, d'un bout à l'autre de la terre, jusqu'à ce qu'il souffle du sang noir et roule sur le flanc.
Soudain les eaux autour d'eux s'élargirent en vastes cercles, puis se soulevèrent rapidement comme si elles glissaient autour d'un iceberg immergé montant rapidement à la surface. Un grondement sourd se fit entendre, un bourdonnement souterrain, et tous suspendirent leurs souffles. Une vaste forme dépenaillée par les lignes, les harpons et les lances qu'elle remorquait, jaillit obliquement de la mer.
20 000 lieues sous les mers
Cet aspect inquiétant est aussi exprimé dans le roman de Jules Vernes, "20 000 lieues sous les mers". Le héros, le professeur Aronnax, part à bord du Lincoln pour enquêter sur un monstre qui défraye la chronique.
Extraits des premiers chapitres de 20 000 lieues sous les mers :
L'année 1866 fut marquée par un événement bizarre, un phénomène inexpliqué et inexplicable que personne n'a sans doute oublié.
En effet, depuis quelque temps, plusieurs navires s'étaient rencontrés sur mer avec "une chose énorme" un objet long, fusiforme, parfois phosphorescent, infiniment plus vaste et plus rapide qu'une baleine.
Les faits relatifs à cette apparition, consignés aux divers livres de bord, s'accordaient assez exactement sur la structure de l'objet ou de l'être en question, la vitesse inouïe de ses mouvements, la puissance surprenante de sa locomotion, la vie particulière dont il semblait doué. Cet être phénoménal dépassait de beaucoup toutes les dimensions admises jusqu'a ce jour par les ichtyologistes.
... Partout dans les grands centres, le monstre devint à la mode ; on le chanta dans les cafés, on le bafoua dans les journaux, on le joua dans les théâtres.
On rappela tous les êtres imaginaires et gigantesques, depuis la baleine blanche, le terrible "Moby Dick" des régions hyperboréennes, jusqu'au Kraken démesuré, dont les tentacules peuvent enlacer un bâtiment de cinq cents tonneaux et l'entrainer dans les abimes de l'Océan.
Alors éclata l'interminable polémique des crédules et des incrédules dans les sociétés savantes et les journaux scientifiques...
... Six mois durant, la guerre se poursuivit avec des chances diverses.
Aux articles de fond scientifiques des grands journaux de la France et de l'étranger, la petite presse ripostait avec une verve intarissable. Ses spirituels écrivains parodiant un mot de Linné, cité par les adversaires du monstre, soutinrent en effet que "la nature ne faisait pas de sots", et ils adjurèrent leurs contemporains de ne point donner un démenti à la nature, en admettant l'existence des Krakens, des serpents de mer, des "Moby Dick", et autres élucubrations de marins en délire.
Quelques chapitres plus loin, le héros, le professeur Aronnax, est beaucoup moins incrédule. Le Lincoln vient d'être coulé par le cachalot géant, et il ne sait pas encore que la colère de cétacé va provoquer sa rencontre avec le capitaine Némo et l'obliger à un voyage sous les mers long de 20 000 lieues.
Pinocchio -Carlo Collodi- 1823 et l’ancien testament
Alors que Pinocchio, un vilain petit menteur, nage vers le rivage, surgit l'épouvantable cachalot (de même que pour Jonas anatomiquement ça ne peu être qu'un cachalot pour avoir une aussi grande gueule) qui l'engloutit tout net... et le garde dans ses entrailles où il retrouve son malheureux père, le menuisier Gepetto.
La bête gigantesque vient autant du folklore toscan que des Ecritures
Comme Jonas dans l'Ancien Testament, notre pantin ressortira amendé de son séjour dans le ventre du cachalot, tout en y ayant au passage sauvé le gentil Gepetto. Dans la Bible, Jonas, après qu'il ait avoué avoir désobéi à Dieu, est jeté à la mer par ses compagnons de voyage. Il est avalé par un cachalot dans les entrailles duquel il a le temps pendant trois jours et trois nuits d'implorer la mansuétude de son Dieu. A la fin de cette épreuve, il ressort lavé de ses péchés et à nouveau digne de la confiance de ses prochains. Sortir et renaitre du ventre du cachalot est une résurrection. De même la fin de Pinocchio est un happy-end, le pantin devenu un petit garçon de chair et d'os ne mentira plus et ne fera plus souffrir son père.
Article réalisé par Arnaud Filleul et Jean-Pierre Fleury.