Des crises incohérentes
Comme le souligne sur son blog l'humoriste Jason Good à travers un billet hilarant intitulé "46 Reasons My Three Year Old Might be Freaking Out" (46 bonnes raisons pour expliquer la crise de colère de mon enfant de trois ans), il est souvent parfaitement inutile de tenter de rendre intelligible les sautes d'humeur de son enfant. Les raisons invoquées par l'enfant parlent d'ailleurs d'elles-mêmes : "il a faim mais ne parvient pas à se souvenir du mot "faim", "son frère le regarde", "son frère ne le regarde pas", "l'iPad a un mot de passe", "il n'est pas autorisé à toucher le feu", "personne ne veut le laisser rentrer dans le four", etc.
Pourtant, d'après les psychologues, un tel comportement n'a rien d'anormal et devrait même rassurer les parents inquiets. Mieux : il faudrait même se réjouir que son enfant ait tout d'une boule à caprices. Tant et si bien qu'il est tout à fait normal que votre petit adore le bain un jour et le déteste le lendemain. En réalité, d'après les experts en psychologie enfantine, les comportements étranges des tout-petits ne font que refléter leur trouble intérieur et leurs frustrations. Pour faire simple, ces derniers ne sont pas encore prêts à affronter le monde qui les entoure, encore bien trop changeant et bouleversant. Moralité : les caprices de votre enfant ne s'expliquent pas (seulement) parce qu'il est trop gâté et ne constituent pas une raison valable pour l'envoyer chez le psy.
Un monde qui fait peur
Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, l'existence d'un bambin n'est pas aussi tranquille qu'elle le parait. Et même si ce dernier dort douze heures par nuit et qu'il n'a qu'à ouvrir la bouche pour qu'on lui donne la becquée – ce qui est évidemment un luxe –, l'enfant de deux ans traverse en fait une crise intérieure profonde. Alors qu'il vient à peine d'apprendre à marcher et à attraper les objets qui l'entourent, il est insatiable et souhaite à tout prix découvrir ce monde qui à la fois le fascine et l'effraie. En outre, celui-ci vit dans la peur perpétuelle de se voir abandonner par ses parents – ce qui explique ainsi les crises lorsque sa mère s'absente quelques secondes pour par exemple prendre sa douche.
Par ailleurs, ce n'est pas non plus un hasard si les tout-petits se mettent à pleurer presque à chaque fois que leurs parents tentent de faire appliquer une règle. Par exemple, lorsque la mère interdit à son enfant de 20 mois de prendre l'énorme couteau de boucher – ô combien attirant avec sa lame qui brille de mille feux –, l'enfant n'est pas en mesure de comprendre qu'il est question de sa sécurité. Comme l'indique la professeure de santé mentale à l'université de Californie-San Francisco Alicia Lieberman dans son livre La vie émotionnelle du tout-petit, cette privation n'est perçue que comme un retrait d'amour par le bambin. En définitive, l'enfant sait seulement qu'on lui ôte des mains un objet qu'il affectionnait tout particulièrement. Aussitôt, cette douleur est interprétée comme une trahison.
Une petite colère… à défaut de langage
D'après de nombreuses études, dont une enquête menée par les chercheurs de l'université de Californie, le fait que chaque adulte soit en mesure de nommer l'émotion qu'il ressent à l'aide des mots lui suffit à étouffer cette dernière et en prendre le contrôle. Mais cette capacité à mettre des mots sur nos sentiments dépend fortement de nos facultés de langage. Un élément que les bambins ne maitrisent pas. Résultat : si l'enfant de 22 mois est en mesure d'informer sa mère de son besoin de lait, il est néanmoins incapable de procéder à une négociation complexe avec des mots.
Et pour évacuer sa frustration, la seule réponse à sa frustration est bien souvent d'attraper le premier objet dans son champ de vision et de l'envoyer à l'autre bout de la pièce. Lorsque l'on sait que la motricité du bras de l'enfant est son atout principal, il est donc parfaitement logique que son seul outil ait tendance à se munir d'objets à projeter au loin dès lors que se présente un problème.
Il faut également prendre en considération un autre élément que les adultes ont tendance à oublier : le lobe frontal – partie du cerveau gérant l'organisation, la mémoire, le self-control et le raisonnement – est très nettement sous-développé chez l'enfant. Ce qui permet entre autres d'expliquer, comme l'indique la psychologue du développement Nancy McElwain, que les tout-petits ne pensent jamais aux conséquences et ne font que vivre l'instant présent. Résultat : mettre son doudou dans les toilettes n'est par exemple pas perçu comme une mauvaise action.
Vivre le désir comme un besoin
En outre, le fait que leur lobe frontal soit presque inexistant amène les bambins à n'avoir aucune notion ni du temps ni de la patience. Conséquence : ils vivent leur désir comme un besoin et veulent que les choses qu'ils souhaitent leur tombent du ciel instantanément. Évidemment, il est aussi crucial de prendre en compte que l'enfant n'a aucune expérience sur laquelle se reposer. Pour résumer, la pédiatre Harvey Karp, auteure du livre Le plus heureux des bébés, décrit les bambins comme de "petits hommes des cavernes" auxquels il faut des années pour apprendre à se socialiser. Conclusion : pas de quoi piquer à son tour une crise si son enfant a jugé utile de repeindre les murs avec de la confiture.
Attention toutefois : ces habitudes ne démontrent pas pour autant que les tout-petits n'apprécient pas l'organisation et les habitudes. Ainsi, il n'est pas rare de voir ces derniers ranger leurs jouets dans une boite ou les aligner – une façon de créer un certain ordre dans leur existence chaotique et effrayante. Rien d'étonnant, donc à ce que les caprices soient aussi courants chez les enfants en bas-âge. Et rien de surprenant à voir les bambins gérer leurs déboires en hurlant, tapant et jetant tout ce qu'ils trouvent…
Conclusion
Une chose est sûre : si notre petit monde était aussi imprévisible, frustrant, effrayant, nos communications aussi médiocres et notre lobe frontal aussi insignifiant, nous ne manquerions pas non plus de piquer une crise de temps à autre !