Les gorilles dans notre histoire et notre culture
Histoire des gorilles
L'histoire des gorilles et des hommes ne durera-t-elle que 400 ans ?
Au début du 17e siècle, un dénommé Andrew Battel, qui fut prisonnier des Portugais en Angola, décrivait pour la première fois Pongo : "Pongo est un singe semblable à l'homme dans toutes ses proportions, mais plus grand, grand comme un géant et si fort que dix hommes ne suffiraient pas pour en dompter un seul".
En 2010, quatre petits siècles plus tard, les gorilles sont chassés et spoliés de leurs territoires et sont en passe de s'évanouir dans la brume de nos souvenirs et peut-être de nos remords.
Récits de chasseurs et de voyageurs
Andrew Battel : "Ils vont en compagnie, tuent les indigènes qu'ils rencontrent, attaquent même l'éléphant qu'ils mettent en fuite à coups de poings ou à coups de bâtons".
Bosman, voyageur en Guinée : "Il y a des indigènes qui assurent que ces singes souvent appelés ingéna peuvent parler et que, s'ils ne le font pas, c'est qu'ils ne veulent pas s'en donner la peine. Ce qu'il y a de mieux à dire c'est qu'ils sont capables d'apprendre tout ce qu'on leur enseigne".
Mr de la Brosse : extrait de la relation de son voyage à la côte d'Angola en 1738 : "Ils marchent sur deux pieds et parfois quatre quand ils en ont la fantaisie. Ils tentent de surprendre les femmes indigènes, les gardent avec eux et les soignent très bien. J'ai connu à Lowango, l'une d'elles qui était restée trois ans avec ces animaux. Et l'auteur conclut par trois points de suspension pudiques mais évocateurs...".
Ces récits montrant le goût avéré des grands singes pour les charmes du beau sexe est à l'origine de récits récurrents faisant état de l'existence dans les forêts de créatures mi-homme mi-singe issues de ces relations, contre nature ?...
C'est à travers de larges grilles,
Que les femelles du canton,
Contemplaient un puissant gorille,
Sans souci du qu'en-dira-t-on.
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que, rigoureusement ma mère
M'a défendu de nommer ici...
Gare au gorille !...
...Mais, par malheur, si le gorille
Aux jeux de l'amour vaut son prix,
On sait qu'en revanche il ne brille
Ni par le goût, ni par l'esprit.
Lors, au lieu d'opter pour la vieille,
Comme l'aurait fait n'importe qui,
Il saisit le juge à l'oreille
Et l'entraîna dans un maquis !
Gare au gorille !...
Georges Brassens, en grand observateur des choses humaines et simiesques, met dans cette merveille de poésie et d'ironie l'évidence quasi-scientifique que le gorille est bien un homo-erectus.
Mais attention pourtant, les indigènes, dit Paul du Chaillu en 1855, "sont persuadés que si une femme près de devenir mère, ou que si simplement le mari de cette femme voit un gorille mort ou vif, la femme enfantera non pas un enfant mais un petit gorille. Cette superstition ne les empêche pas de manger du gorille. Ils en mettent soigneusement de côté la cervelle qui devient un fétiche capable de leur donner ruse et courage".
Pendant un siècle et demi, l'existence de ces créatures n'étaient pas plus ni moins avérée que celle des griffons ou des serpents de mer géants. Ce n'est qu'en 1846, que le révérend Leigton Wilson découvrit au Gabon, le crâne d'un singe d'une espèce nouvelle et extraordinaire. Les Pongos et ingénas perdirent leurs noms originels et devinrent officiellement gorilles l'année suivante. Etrangement à l'origine le mot gorille signifie : femme poilue. C'est en tous cas ainsi que Hannon, un général carthaginois désigna au 6e siècle une tribu rencontrée en Afrique Occidentale dont les femmes présentaient une pilosité au-delà de la norme.
Dans les décennies qui suivirent, ce furent surtout les récits de chasses qui retinrent l'attention du public. En ces temps pas très lointains, les naturalistes étaient aussi chasseurs, ils avaient pour mission de ramener des spécimens aux musées de Paris, de Londres ou de New York.
Du Chaillu : "Le gorille se leva, regarda en face ceux qui troublaient sa retraite, et poussa un rugissement de rage... Entrevue dans le demi jour du ravin, ses traits hideux crispés par la colère, ses yeux étincelant d'un feu sombre, sa face de satyre violemment contractée tout en lui était effroyable". Les chasseurs européens de cette époque étaient déjà puissamment armés d'armes à feu meurtrières et efficaces, pourtant ils devaient faire preuve d'une audace peu commune pour s'attaquer au "roi des forêts africaines" retranché au plus profond de domaines hostiles et presque impénétrables, que dire alors du courage des pygmées qui attaquaient à la lance cet adversaire capable d'une pichenette nonchalante de les réduire comme un chat réduit une souris.
Quatre siècles de chasses qui peuvent se résumer, et peut être hélas tant les populations de gorilles sont maintenant menacées, se conclurent ainsi.
Au cours d'un tournage que j'effectuais en 1995, pour le compte de la chaine Fr 3, sur l'exploitation forestière chez les pygmées Bakas aux confins du Cameroun, du Gabon et de la République Centrafricaine, il me fut hélas donné l'occasion d'être témoin d'une situation qui restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Dans un de ces villages que les pygmées font de branches et de feuilles sur les routes provisoires percées par les forestiers pour évacuer le bois, un bébé gorille était attaché par le cou avec du fil de fer. Il me regardait avec des yeux soumis et attendrissants. Cette image à elle seule, me toucha avant de me révolter même si je savais que je n'étais pas là pour juger de quoi que ce soit mais simplement pour donner à voir. Croyant innocemment que j'étais intéressé par l'achat, j'allais écrire par l'adoption de la petite créature, son propriétaire m'invita à m'approcher pour en faire sa connaissance. Il me fit dire que l'animal qui était âgé d'un mois était bien traité et qu'il le nourrissait à l'égal de ses propres enfants.
Qu'elle ne fut pas ma stupeur quand je vis là, juste à côté de lui, sur des cendres encore fumantes, les deux mains de sa mère finissant de boucaner depuis des jours en attendant de trouver un acheteur local assez fortuné pour en faire un ragout et améliorer ainsi son ordinaire. En m'informant plus avant, j'appris que le reste de la dépouille de la mère qui faisait, suivant l'expression africaine "gros la viande" avait pris la route de Yaoundé pour y être débité en compagnie de chimpanzés et de pangolins sur le marché de la "viande de brousse". Des maquignons spécialisés en tireraient une petite fortune en le vendant aux habitants de la grande ville et pourquoi pas en premier lieu aux autorités locales...
Mais qu'avons fait nous de nos derniers ours, de nos derniers loups, que faisons-nous de nos derniers lièvres, de nos dernières perdrix sauvages, de nos abeilles... ?
Les gorilles ont besoin de garde du corps pour se protéger des hommes !
Dans la réalité, les gorilles sont espèces discrètes qui n'ont pas de contact spontané avec l'homme. Certes, un grand mâle dérangé par une intrusion peut devenir dangereux, mais en l'absence de provocation, les animaux se laissent observer à distance. Ils se laissent même approcher avec le temps.
C'est notamment grâce à une femme, Diane Fossey (Gorilles dans la brume), que le grand public a découvert le caractère pacifique de ces grands herbivores, qui sont plus timides qu'agressifs. Son reportage fut un événement pionnier, en 1970, vers une meilleure connaissance de ces animaux. Les photos de cette femme vivant avec les gorilles avaient fait le tour du monde.
De nos jours, les gorilles sont fortement menacés par les activités humaines. Le gorille de l'ouest est classé sur la liste des espèces menacées de l'UICN, mais cela ne l'empêche pas d'être fortement braconné, pour la chair comme pour la vente des bébés, ou encore pour des utilisations des parties du corps liées aux croyances locales.
Mais le danger numéro 1, c'est la déforestation qui sévit en permanence dans les régions où il vit, souvent de façon illégale. Ce grand herbivore n'a aucune chance de survie sans son environnement. L'avenir des gorilles est donc bien sombre, car la lutte contre la déforestation s'est avérée très difficile dans tous les pays tropicaux du globe. Les gorilles ne peuvent rien face aux pots de vin.
Le gorille fait son cinéma et devient la huitième "Merveille du Monde"
Il est étonnant de voir à quel point les gorilles sont rentrés dans l'imaginaire collectif, alors que cette espèce est absente en Europe.
Dans les années 1930, grâce au cinématographe, les citadins du monde entier se prennent de passion pour la vie sauvage. Des pionniers de la prise de vue animalière comme les époux Johnson font vivre dans les salles obscures de New-York et de Paris, les lions, les rhinocéros et les gorilles des jungles lointaines. Les néons de Broadway s'illuminent pour louer Wild Cargo, un long métrage documentaire de Armand Denis qui relate la capture et le transport en bateau des fauves les plus sauvages et les plus inquiétants.
Les postures d'intimidation d'un "dos argenté" (un vieux mâle) sont réellement impressionnantes, les scénaristes des multiples versions de King-Kong ont surfé sur cette image pour mettre en vedette le gorille géant qui grimpe sur l'Empire State Building, ou, selon les périodes, sur le World Trade Center. King-Kong évoque une relation complexe entre la femme fragile et vulnérable et la force brute.
La première version, en noir et blanc, date de 1933, et montre une femme (Fay Wray) terrorisée face à l'immonde bête. La petite histoire du cinéma a retenue que c'est Osa Johnson, elle-même devenue une vedette en se mettant en scène dans ses documentaires qui a inspiré le scénariste du premier King-Kong. C'est cette même Osa Johnson qui est à l'origine du personnage de Tarzan, retirant ainsi l'homme singe imaginé par Edgard Rice Burroughs, d'une solitude qui lui devenait de plus en plus pesante au fil de ses premières aventures.
Notez l'évolution du rapport particulier de l'héroïne avec l'animal, celle-ci devient, en suivant l'évolution générale de l'opinion et au fil des versions, de plus en plus attachée au grand singe.
Les versions suivantes, en 1976 avec Jessica Lange et en 2005 avec Noami Watts, montrent un animal beaucoup plus protecteur, et un attachement parfois même ambigu entre les deux personnages. Ces différences correspondent à un des grands changements des mentalités de la fin du dernier millénaire vis-à-vis du monde animal qui se traduit ici par une prise de conscience générale sur les difficultés des gorilles, et à la volonté de protéger la vie sauvage.
Etymologie
Le nom commun comme le nom scientifique viennent du grec gorillai, qui désignerait une "tribu de femmes poilues". Ce sont les premiers découvreurs scientifiques de l'animal qui l'ont nommé ainsi, en 1847.
Il convient quand même de noter que Gor signifie homme dans plusieurs langues contemporaines du Sénégal.
Synonymes
Pas de synonymes, mais on parle de "dos argenté" et de "dos noir" pour désigner la couleur et le statut des mâles.
Homonymes
Le gorille est devenu garde du corps des personnalités de la politique et du show-biz.
Et par la voie de Lino Ventura il vous salue bien... en tout cas dans le film de Bernard Borderie en 1957. Par la suite le personnage sera incarné par Roger Hanin dans Valse pour le Gorille et le Gorille a mordu l'archevêque.
Où rencontrer des gorilles ?
Il faut différencier le gorille ouest-africain, qui vit dans les massifs boisés de l'Ouest de l'Afrique centrale, et le gorille est-africain, qui vit dans les plaines de l'Est et dans les montagnes.
Les gorilles ouest-africains sont de loin les plus nombreux, avec possiblement 80 000 individus (ces estimations sont très incertaines) principalement répartis sur la République centrafricaine, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Gabon et le Congo-Brazzaville. Il s'agit essentiellement de la sous-espèce Gorilla gorilla gorilla. Notons que la sous-espèce Gorilla gorilla diehli est une minuscule population isolée du Nigeria, présentant quelques 200 individus, et fortement menacée de disparition.
Les gorilles est-africains ne compteraient qu'une dizaine de milliers d'individus. Gorilla beringei graueri vit essentiellement dans les plaines de la République démocratique du Congo, et le gorille des montagnes (Gorilla beringei beringei) ne compte plus que quelques centaines d'individus en Ouganda et au Rwanda.
Le gorille vous salue bien avant hélas de peut être devoir tirer sa révérence...
Article réalisé par Arnaud Filleul et Jean-Pierre Fleury.