Le vampire au cinéma
La figure du vampire fait son apparition dans les salles obscures dès les prémisses du cinéma (Le Manoir du diable, de Georges Méliès, 1896). Pas étonnant lorsque l'on sait que la pierre angulaire de la littérature vampirique à savoir Dracula, de Bram Stoker, parait peu de temps après la projection publique du cinématographe des Frères Lumière. Et alors que les râles de la créature du Frankenstein de Mary Shelley sont encore largement perceptibles à l'aube du XXème siècle, ce qui est en passe de devenir le septième art apparait, plus encore que la littérature, fasciné par les thématiques gothiques.
Le Vampire est alors sur le point d'occuper une place fondamentale dans ce nouveau médium culturel. Ses traits effrayants (teint blafard, air animal, dents acérées) et ses crimes suscitent auprès de l'ensemble des classes sociales un intérêt grandissant. Alors que la mode est aux bonnes manières et que l'art de vivre se fait des plus cérémonieux, l'imaginaire collectif a besoin d'exorciser ses inhibitions. Dracula, créature mort-vivante éprise de chair et de sang, semble la matérialisation idéale de ces frustrations et tabous. On pourrait donc considérer ce dernier comme la manifestation d'une détresse, d'une souffrance indicible, liée aussi bien à la peur de la mort qu'à l'indéfinition de la sexualité. Tous les Van Helsing, morceaux d'ail, croix en argent et autres hectolitres d'eau bénite n'y changeront rien.
Dracula serait donc là pour nous rappeler inconsciemment notre animalité sous-jacente, notre Eros (pulsion de vie) et notre Thanatos (pulsion de mort), comme le conceptualisait si bien Sigmund Freud. Jalonnant toute l'histoire du septième art, cette figure du vampire n'a eu de cesse de se métamorphoser et de se réinventer au gré de l'ère du temps et de l'évolution de nos angoisses. Ainsi, le vampire n'est désormais plus ce qu'il était. Le cinéma plus que la littérature permet d'identifier ces changements. De Nosferatu à Twillight, de Max Schreck à Robert Pattinson en passant par Bela Lugosi et Christopher Lee, le rapport à la transgression du buveur de sang s'est modifié. Pour illustrer ce glissement, nous avons sélectionné pour vous les meilleurs films de vampires de l'histoire du cinéma.
Nosferatu, de Friedrich Wilhelm Murnau
Port de Wisborg, 1838. Marié depuis peu à la jeune Ellen, Hutter est missionné dans les Carpates par son employeur Knock, notaire et agent immobilier. Sa tâche : approcher le comte Orlock, qui souhaite faire l'acquisition d'un bien immobilier à Wisborg. Tandis qu'il s'apprête à partir, Hutter confie son épouse à l'armateur Harding et à sa sœur Annie. Une fois à destination, il dine dans une brasserie où il ne manque pas d'éveiller la curiosité des clients. Il est aussitôt mis en garde contre le danger que représente la demeure du comte Orlock…
N'ayant pu obtenir les droits nécessaires à l'adaptation du roman Dracula de Bram Stoker, Friedrich Wilhelm Murnau a donc conservé la trame en modifiant l'ensemble des noms des personnages. Le film est pourtant l'une des œuvres les plus fidèles au livre. Pour sa première, et officieuse, incursion au cinéma, Dracula alias Nosferatu met en scène un monstre des plus inquiétants. La violence que ce dernier sous tend ne se fait pas frontale comme l'on pourrait s'y attendre mais diffuse, à la manière d'un virus insidieux. Ainsi, la sexualité latente du conte Orlock n'est suggérée que sur le plan psychanalytique. La somptueuse mise en scène de Murnau, tout en clair-obscur, ne semble pas seulement vouloir souligner la pulsion de mort refoulée de l'être humain, mais aussi un mal généralisé qui s'apprête à consumer la société toute entière. En un sens, cette vision peut être interprétée comme une préfiguration de la montée du nazisme (rappelons que Murnau est allemand). Chacune des apparitions du génial acteur Max Schreck (Nosferatu) sont des grands moments d'épouvante où l'on hésite entre l'horreur et la compassion. Outre un cadrage de génie, on retiendra l'impressionnante profondeur de champ et la prodigieuse narration. Un chef d'œuvre du cinéma muet.
Vampyr, de Carl Theodor Dreyer
David Gray, un jeune voyageur, s'arrête à Courtepierre dans une auberge à proximité d'une rivière et décide d'y prendre une chambre. La nuit venue, un vieil homme s'introduit brusquement dans sa chambre pour lui demander de l'aide. Il lui laisse un paquet qu'il ne devra ouvrir qu'après sa mort puis se volatilise mystérieusement…
Plutôt que de s'emparer comme les autres du roman de Bram Stoker, Dreyer et son scénariste Svend Rindom préférèrent adapter librement deux nouvelles de l'écrivain irlandais Sheridan Le Fanu : Carmilla (1871) et La chambre de l'auberge du dragon volant (1872). Sans doute le cinéaste eut-il davantage d'inclination pour la poésie de Le Fanu que pour l'horreur de Stoker. Peu de temps après avoir réalisé Jeanne D'Arc, Dreyer est plus que jamais fasciné par la thématique chrétienne. Dans Vampyr, il fait ainsi s'affronter les notions de bien et de mal. Il oppose ainsi les représentants du bien (David Gray, le châtelain et ses enfants, etc.) et les représentants du mal (Marguerite Chopin, le docteur et le garde-chasse). À l'inverse de l'approche expressionniste de Murnau et du fantastique gothique de la Hammer (Dracula, Todd Browning, 1931), Dreyer a distillé une dimension poétique surnaturelle. La quasi-absence de dialogue permet d'apparenter le film, et ce dès le titre de début étrangement surexposé, à un rêve. La bizarrerie du jeu des personnages ne fait par ailleurs qu'accentuer ce sentiment. C'est comme si le personnage principal David Gray, avec son air hébété, s'égarait malencontreusement dans le cauchemar d'une tiers personne à demi éveillée. À noter qu'à l'inverse de Le Fanu, Dreyer a choisi de ne pas intégrer la relation saphique qu'entretenaient la vampire et sa victime dans la nouvelle. À la place, Marguerite Chopin se donne à voir comme une vieille femme hideuse et ravagée par le temps, dépourvue de toute trace de psychologie. Vivement défendu par le réalisateur français Marcel Carné à sa sortie, Vampyr sera un échec public. Aujourd'hui plus qu'hier, on ne peut que louer ses prouesses visuelles (point de vue en contre plongée depuis un cercueil, etc.) et son atmosphère onirique.
La marque du Vampire, de Todd Browning
Dans son manoir, Sir Karell Borotyn est retrouvé mort, exsangue, avec deux traces de morsures sur le cou. Le docteur Doskill pense aussitôt à un assassinat perpétré par un vampire. Parfaitement hermétiques à ce genre de supputation, la fille de Sir Karell et son petit ami Fédor, font part de leurs doutes à l'inspecteur Neumann. Il s'avère rapidement qu'il ne s'agit en réalité que d'un crime déguisé…
Avec La marque du vampire, Todd Browning réalise le remake parlant d'un de ses propres films muets : Londres après minuit, 1927. Bien que l'ensemble puisse s'expliquer rationnellement sans en passer par une quelconque dimension fantastique, la grande force de La marque du vampire est de faire du Vampire un être humain, un simple criminel. Cela n'empêche pas, néanmoins, cette œuvre de faire partie des grands classiques de l'âge d'or du cinéma fantastique. On y retrouve tous les ingrédients traditionnels du film vampirique : ail, tue-loup pour éloigner les créatures maléfiques, etc. À noter la présence de l'indépassable Bela Lugosi (Comte Mora). Les décors gothiques sont magnifiés d'une part par la réalisation vaporeuse de Tod Browning, de l'autre par la photographie en clair-obscur (inspirée du cinéma expressionniste allemand) du génial James Wong Howe.
Dans le même genre et du même réalisateur : Dracula, de Todd Browning
Les maîtresses de Dracula, de Terence Fisher
Marianne Danielle, une jeune institutrice, se rend en Transylvanie pour donner des cours dans la pension Lang. Dans une auberge perdue pleine forêt, elle fait la rencontre de la baronne Meinster. Cette dernière l'invite bientôt à passer la nuit dans son château.
Très apprécié par le philosophe français Gilles Deleuze, Les Maîtresses de Dracula peut être considéré comme un grand film expressionniste (et un des meilleurs films de la Hammer). Il suffit pour cela d'observer dans la scène finale l'ombre de la croix projetée par les ailes du moulin sous l'effet de la lune. Au-delà de cette dimension subtilement métaphorique, on notera que l'emprise de la sexualité et de la mort (Eros & Thanatos) sont largement présentes. Ainsi, lorsque le Vampire (le baron Meinster) s'introduit dans la chambre de Marianne, l'absence de cette dernière ne l'empêche pas de choisir une autre femme. Aussi, le réalisateur Terence Fisher semble très attaché à la dimension sociale de l'intrigue. On a le sentiment d'évoluer dans un environnement connu (un ersatz de l'Angleterre victorienne), où la bourgeoisie détient un pouvoir sans bornes. En somme, Fisher identifie le Vampire à un aristocrate avide de pouvoir et d'argent, un être incapable de réprimer ses pulsions et suçant jusqu'à la moelle la classe populaire. À l'inverse, le personnage Van Helsing (interprété par l'illustre Peter Cushing) est un bourgeois parvenant à réprimer ses pulsions de façon à maintenir l'ordre social. Nous assistons de fait au combat entre les pulsions dévastatrices et la préservation de l'ordre social. Mention spéciale pour la photographie et les jeux de lumière.
À noter que Le Cauchemar de Dracula, avec l'inégalable Christopher Lee, est tout aussi réussi.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- Le Cauchemar de Dracula, 1958
- Dracula, prince des ténèbres, 1966
Le Bal des Vampires, de Roman Polanski
Le vieux professeur Albronsius arrive avec son jeune assistant Alfred dans un petit village de Transylvanie. Celui-ci n'a qu'une seule idée en tête : prouver au monde l'existence des vampires. Avec leur maillet, leur crucifix et leur pieu, ils entrent dans une auberge entièrement décorée d'ail où vit enfermée Sarah, la fille des propriétaires des lieux. Devant l'insistance de leurs interrogations, aucun villageois ne semble disposé à donner une seule réponse. Bientôt, Sarah est enlevée et l'on retrouve l'aubergiste avec une morsure ensanglantée dans le cou. Les recherches mènent Albronsius et Alfred au château du comte von Krolock…
Premier film en couleur signé Roman Polanski, Le Bal des Vampires se présente comme une parodie de luxe des grands films d'épouvante de la Hammer. Tant est si bien que l'on y retrouve tous les ingrédients : les décors, dont le fameux château perché en Transylvanie mais également le comte von Krolock ressemblant à s'y méprendre au mythique Christopher Lee (Le Cauchemar de Dracula, etc.). À cela s'ajoute un savant cocktail d'humour et d'horreur (on pense à Deux nigauds contre Frankenstein, de Charles Barton, 1954). Et le tour de force de Roman Polanski est de réussir sur les deux plans. Ce périlleux exercice de style donne lieu à des séquences inoubliables aussi drôles que féroces. Les thèmes abordés sont quant à eux nombreux : homosexualité, religion, tromperie, orgueil, etc. Mais la dimension enjouée de l'ensemble ne gomme pas pour autant le côté obscur du réalisateur (à l'origine quelques années plus tôt des pessimistes Le couteau dans l'eau, Cul de sac ou encore Répulsions). Ainsi, pas un seul des personnages n'échappera d'une façon ou d'une autre à un destin tragique. Sous le voile de l'humour, Roman Polanski dresse ainsi un tableau bien sombre de l'être humain et n'hésite pas à pointer du doigt la moindre de ses faiblesses. L'idée n'est plus de symboliser le Vampire comme étant la propension inconsciente de mal de l'être humain mais plutôt de montrer que nous sommes déjà tous devenus des vampires…
Dans le même genre : Deux nigauds contre Frankenstein, de Charles Barton, 1954
Dracula, de John Badham
Au cours de l'année 1913, un bateau près des côtes anglaises est soudainement pris dans une violente tempête. Alors que le vent et les vagues ne cessent de s'abattre sur l'embarcation, le capitaine et son équipage sont décimés par une créature sanguinaire. Un matin, Mina Van Helsing trouve un homme inconscient qu'elle ramène dans l'asile d'aliénés dirigé par le père de son amie Lucy. Elle ne sait pas encore que cet homme n'est autre que le comte Dracula en personne…
Exit les Bela Lugosi et autres Christopher Lee, ici le vampire (interprété par Frank Langella) est à la fois une créature sanguinaire et un être capable d'aimer et de prendre le pas sur ses bas-instincts. Mais jusqu'à quel point ? Voilà la question que n'ont cessé et ne cesseront de se poser les écrivains et réalisateurs. Sans prétendre à sonder notre inconscient au même titre qu'un Nosferatu, ce Dracula de John Badham donne à voir un vampire plus humain que jamais, d'une part tueur psychopathe, de l'autre sensuel, distingué et réfléchi. Tant et si bien que ce dernier finira par séduire Lucy sans pour autant utiliser un seul de ses pouvoirs. Pour le cinéaste, pas âme qui vive ne semble à l'abri du potentiel de destruction contenu en chacun. Mention spéciale pour les rôles du grand Laurence Olivier et de Donald Pleasence.
Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog
XIXème siècle. Lucy laisse partir à contre cœur son fiancé Jonathan, qui prend la route des Carpates pour finaliser une affaire immobilière avec le comte Dracula. Accueilli avec beaucoup de déférence par ce dernier, il passe la nuit sur place non sans s'apercevoir le lendemain matin de la présence de deux petits trous au niveau de son cou. Bientôt, Dracula tombe amoureux de Lucy, dont Jonathan détient le portrait en médaillon. Sans mot dire, Dracula part à la recherche de Lucy…
Remake éponyme du chef d'œuvre de Friedrich Wilhelm Murnau, Nosferatu, fantôme de la nuit, fait partie des œuvres inclassables, uniques et incontournables. C'est l'acteur Klaus Kinski qui reprend ici le rôle de Max Schreck. Alors que l'on a souvent tendance à identifier Kinski à la folie et à la rage, à la violence et à l'orgueil (cf. Aguirre, ou la colère de dieu, de Werner Herzog, 1972), ce dernier étonne ici en distillant derrière sa présence fantomatique une sensibilité inusitée. Sans doute n'y avait-il qu'Herzog pour saisir derrière ce mur de déraison un semblant de poésie. À noter que compte tenu du caractère quasi-psychotique de Kinski et son obsession de toujours vouloir faire ressortir cette fameuse cruauté, Herzog eut beaucoup de mal à tourner les prises comme il l'entendait. Cependant, le résultat est au-delà de toutes les attentes. Klaus Kinski, ce fantôme de la nuit, embrasse la noirceur et la solitude avec une rare poésie. Ses névroses semblent comme embrumées par la mélancolie. Dracula (ou Nosferatu) ne parait non plus malsain mais tragique, comme un animal conscient de sa mort qui approche. La beauté irréelle et mutique d'Isabelle Adjani vient ajouter à cette œuvre un souffle étrange et vaporeux. Comme Friedrich Wilhelm Murnau avant lui avec son Nosferatu, Werner Herzog a tourné l'ensemble de ses prises dans des décors réels. De sorte que l'authenticité et la tension de l'ensemble sont palpables comme si l'on visionnait un documentaire sur les vampires. En un sens, le cinéma d'Herzog peut être considéré comme le prolongement du mouvement expressionniste allemand. Côté cadrage et éclairage, ce Nosferatu de Herzog bénéficie d'un soin proche de la maniaquerie. De nombreux plans du Nosferatu original ont d'ailleurs été recomposés presque à l'identique. Côté atmosphère, on retrouve la fameuse contamination du réel par le Vampire, dont la présence nous hante même en son absence, notamment grâce aux jeux d'ombres. À cela s'ajoute une bande originale composée par le groupe Popol Vuh, qui contribue à épaissir le mystère du film. S'attirant souvent les foudres de la critique, cette oeuvre comme la filmographie d'Herzog mérite largement que l'on s'y attarde.
Les Prédateurs, de Tony Scott
New York, de nos jours. Miriam Blaylock, une belle femme au charme étrange, mène une existence désœuvrée auprès de son époux John dans une demeure victorienne à l'atmosphère nébuleuse. Voilà 3000 ans qu'elle est contrainte de s'abreuver de sang humain tous les sept jours pour ne pas subir les affres du temps. Pour ce faire, elle ne se sépare jamais de son pendentif contenant une lame pour trancher la gorge de ses victimes. Depuis 300 ans, elle garantit par son amour l'immortalité à son mari John. Mais du jour au lendemain, ce dernier vieillit soudainement à une vitesse fulgurante. Il fait bientôt appel, pour éviter l'inéluctable, à la radieuse Sarah Roberts, professeur émérite spécialiste du vieillissement. Il ne sait pas encore que celle-ci va encore davantage accélérer sa perte, attisant la convoitise de Miriam...
Premier film de Tony Scott, Les Prédateurs bénéficie d'une ambiance sombre très travaillée tout en contre-jour. Flâner au travers de la demeure de Miriam au fil des plans donne le sentiment d'évoluer dans un tombeau antique poussiéreux et énigmatique. Un environnement où le temps s'est arrêté à jamais, comme préservé des métamorphoses du monde. Interprétée par Catherine Deneuve, Miriam est une femme dotée d'un pouvoir presque sans limite. C'est elle qui, suivant le flot de ses sentiments, peut reprendre consciemment ou non l'immortalité de ses proches. Ici, c'est John (David Bowie) qui s'effondre en fera les frais. Sans amour, dit Tony Scott, il n'est point d'existence qui vaille la peine d'être vécue. Pour une fois, le Vampire est une femme et c'est elle qui selon les caprices de ses désirs peut briser ceux qui l'entourent. Mais son existence oisive est gouvernée par une soif de sang irrépressible. Appauvris par la lassitude, l'expression de ses désirs et de ses émotions semblent déshumanisée et sans âme. Outre une séquence saphique osée pour l'époque entre Catherine Deneuve et Susan Sarandon, on retiendra de cette œuvre vaporeuse la mise en scène d'un monde que l'on aura rarement senti aussi désincarné. Échec cuisant à sa sortie en 1983, ce long métrage mérite d'être redécouvert.
Dracula, de Francis Ford Coppola
Voilà quatre siècles que le comte Dracula survit dans son château en Transylvanie, vidant de leur sang toutes les personnes osant s'aventurer dans son domaine. Accablé par la mort de sa femme Elisabeta, c'est un homme endeuillé et nostalgique qui n'a plus vraiment de goût pour l'existence. Tant et si bien qu'il conclut un pacte avec le diable, vouant ainsi sa nouvelle vie au Mal. 1897, Jonathan Harker, un jeune notaire anglais laisse sa fiancée Lucy pour se rendre dans les Carpates pour concrétiser la vente de l'Abbaye de Fairfax à Londres au comte Dracula…
Reprenant la part d'humanité du Vampire initiée par John Badham avec son Dracula, Francis Ford Coppola complexifie encore davantage la créature en la rendant plus proche de l'être humain. Interprété par le "transformiste" Gary Oldman, le comte Dracula, avec son look rétro-moderne, son chapeau haut de forme, sa barbe taillée au millimètre et ses lunettes de soleil, fait parfois l'effet d'une rock-star. La bestialité du personnage ne ressort que par touches légères et peu appuyées. Excepté lorsqu'il se transforme véritablement en monstre, ce dernier suscite une certaine compassion. Charmeur, voire romantique, il va toutefois user de ses pouvoirs pour conquérir la jeune Lucy. Mais toute la distance et l'animalité qu'il dégageait par le passé au cinéma est presque absente. L'Eros prend le pas sur le Thanatos, mais ce n'est pas seulement l'attrait sexuel qui guide le Vampire mais l'amour ou l'image d'une femme jadis aimée. Avec ses couleurs chatoyantes voire criardes (souvent en nuances de rose et de rouge à la manière des peintures de Boucher et Fragonard) semblant tout droit sorties d'un Techicolor de l'âge d'or, ses décors victoriens presque baroques et sa musique enivrante, ce Dracula de Francis Ford Coppola est une franche réussite. Sans compter qu'il bénéficie d'une réalisation de haut vol (Francis Ford Coppola, fidèle à lui-même et donc complètement grandiloquent). Il décevra néanmoins les nostalgiques du Vampire cruel, sans foi ni loi, sans doute compte tenu de la puissance érotique dégagée par ce Dracula. Bien qu'effacée par la prestation d'Oldman, on notera quand même la présence de Winona Ryder (tout en niaiserie), de Keanu Reeves et d'Anthony Hopkins.
Entretien avec un vampire, de Neil Jordan
San Francisco, années 1990. Un jeune journaliste du nom de Malloy interroge Louis, un homme étrange à l'allure soignée et au visage livide. Ce dernier lui révèle bientôt d'inquiétantes confidences. Nous sommes en 1791 et Louis, directeur d'une grande plantation située à quelques miles de la Nouvelle Orléans, vient de perdre sa femme et son enfant. Ne pouvant supporter cette perte, il appelle la mort. Arrive Lestat, un vampire, qui lui propose de choisir entre la mort et une nouvelle existence. Louis opte pour une nouvelle vie mais s'aperçoit avec horreur au fil du temps qu'il se transforme en vampire. D'abord incapable de tuer, il commence par se nourrir du sang des rats…
Adapté du roman éponyme écrit en 1976 par Anne Rice, Entretien avec un vampire s'interroge sur la nature de l'existence du Vampire et pose la question : qu'est-ce que c'est qu'être cette fameuse créature de la nuit ? Poursuivant la veine mélancolique du Dracula de Francis Ford Coppola, le monstre assoiffé de sang est dépeint sous un angle tragique, pris en otage par ses instincts et son immortalité. Pour lui, l'existence n'est plus qu'un long couloir informe où seule la mort pourrait le délivrer. On pense évidemment au supplice de Tantale. Hanté par le bonheur d'une vie passé et l'ennui du présent, ce Vampire est impuissant face à la transformation du monde et reste éternellement ancré dans un temps révolu. Outre un casting de haut-vol (Tom Cruise, Brad Pitt, Stephen Rea, Antonio Banderas, Christian Slater), on retiendra le personnage de Claudia interprétée par une Kirsten Dunst encore jeune et inconnue. Maudite, cette dernière ne vieillit ni ne grandit et reste éternellement une adolescente. Étouffant sous ses innombrables poupées, elle souhaiterait en posséder l'innocence et la beauté. Une image qui nous rappelle la séquence des mannequins et poupées dans Blade Runner. Malgré quelques rares lourdeurs, ce film fait indiscutablement partie des incontournables.
The Addiction, d'Abel Ferrara
New York, années 1990. Kathleen, une jeune étudiante en philosophie, s'interroge sur le pourquoi des camps de la mort de Dachau, d'Auschwitz et du massacre de My Lai au Vietnam. Elle lit Kant, Heidegger et Nietzsche mais ne parvient pas à trouver de réponse. Un soir, alors qu'elle flâne dans une ruelle sombre de New York, elle est agressée par une belle jeune femme qui la mord au cou pour lui prendre son sang. À demie consciente, Kathleen ressent d'abord une grande fatigue puis une soif insoutenable s'installe en elle progressivement. Elle s'empare bientôt d'une seringue avec laquelle elle s'injecte le sang d'un vagabond…
Chez Abel Ferrara (célèbre pour le fameux Bad Lieutenant), le Vampire est un toxicomane capable de s'emparer de la vie d'un parfait innocent pour étancher sa soif. À la question que pose l'héroïne de ce long métrage, à savoir pourquoi l'humanité n'a jamais cessé au fil des siècles de perpétrer des crimes odieux, Ferrara semble indiquer que la réponse se trouve potentiellement en chacun de nous, que tout être humain est capable de bien comme de mal. Le thème de la toxicomanie est une métaphore intéressante : l'être humain peut y perdre toute valeur. Les notions de bien et de mal se trouvent soudainement pour lui indistinctes, voire inexistantes. Le Vampire – addict ne considère ainsi plus le meurtre comme une transgression s'il répond à ses désirs. Décidément, le réalisateur Abel Ferrara n'aura cessé, avec brio et tout au long de sa carrière, de mettre en évidence la vérité de l'être humain cachée sous le vernis de l'ordre social. Mention spéciale pour Christopher Walken. Aujourd'hui tombée dans l'oubli, cette œuvre de Ferrara et sa superbe photographie en noir et blanc avaient pourtant reçu de nombreux prix à l'époque, parmi lesquels l'Ours d'or à Berlin en 1995. Une récompense on ne peut plus méritée.
Morse, de Tomas Alfredson
Blackberg, banlieue de Stockholm enneigée, années 1980. Oskar, 12 ans, est un jeune garçon triste et solitaire qui ne cesse de subir les moqueries et les attaques de ses camarades de classe. Chaque nuit, celui-ci rêve de vengeance et répète inlassablement des attaques au couteau imaginaires. Un soir, il fait la rencontre d'Eli, une jeune fille qui vient récemment d'emménager à quelques pas avec son père. Son visage blafard et son habitude de toujours sortir la nuit en pleine hiver éveille une certaine curiosité chez Oskar. Commence bientôt une série de disparitions et de meurtres…
Passé relativement inaperçu auprès du grand public, Morse est un des plus grands films de Vampire modernes. Rarement la figure de ce monstre assoiffé de sang aura été aussi complexe et fouillée que dans Morse. Tandis que les réalisateurs et écrivains ont longtemps fait du Vampire un homme (le plus souvent) ou une femme, le cinéaste Tomas Alfredson (tout le livre suédois de John Ajvide Linqvist dont le long métrage s'inspire) met en scène une créature que l'on pense d'abord être une jeune fille puis ensuite un jeune garçon. Mais en définitive, la question reste délicate à élucider. Aussi pourrait-on dire que Morse met en scène un Vampire asexué. Là où cette œuvre choque, au même titre que Kirsten Dunst dans Entretien avec un vampire, c'est par le simulacre de jeunesse du Vampire. La relation presque amoureuse qui va se nouer entre ce dernier et Oskar a quelque chose de malsain dans la mesure où une transgression s'y dissimule : un adulte, que l'on ne peut qualifier ni d'homme ni de femme, et à l'apparence d'un enfant noue une amitié ambigüe avec un véritable enfant. Néanmoins, ce "monstre" à l'allure enfantine est comme tout Vampire pris au piège du temps et n'a jamais eu la chance de devenir un adulte. Il est donc condamné à regarder grandir toutes les personnes qu'il aime autour de lui, sans pour autant que l'on lui accorde socialement la place d'une grande personne. La douleur sociale qu'il ressent se fait donc triple : il est d'une part rejeté compte tenu de son apparence d'enfant, de l'autre parce qu'il est pauvre (comme Oskar), et il est condamné à tuer pour survivre. En un sens, les deux garçons ont en commun de vivre au quotidien dans la violence, sociale pour l'un et physique pour l'autre. Côté réalisation, on notera, en lieu et place des sempiternels champs – contrechamps, l'utilisation d'un changement de mise au point. Une brillante alternative. Avec son atmosphère fascinante, son mélange d'ingrédients classiques et contemporains, et ses personnages épineux, Morse est un bijou de film de vampires.
À noter que la séquence du pont dans le parc est sans aucun doute un clin d'œil au chef d'œuvre fantastique L'homme léopard, de Jacques Tourneur. Même chose pour la scène finale de la piscine, qui rappelle une séquence mémorable issue du film La Féline, du même Jacques Tourneur.
Dans le même genre : Laisse-moi entrer, de Matt Reeves, 2010
Twilight, chapitre 1 : Fascination, de Catherine Hardwicke
Bella Swan, une adolescente de 17 ans, vient de quitter le soleil de l'Arizona pour la grisaille de l'État de Washington. Au lycée, elle fait la rencontre d'une étrange famille : les Cullen. Elle tombe sous le charme d'Edward, un grand brun ténébreux très distant. Fascinée par lui et sa famille, elle découvre bientôt qu'il s'agit d'un vampire…
Loin de rentrer au panthéon des meilleurs films de vampires, Twilight a toutefois le mérite de mettre en scène avec une certaine originalité le mythe du vampire et surtout les affres de l'adolescence. Le point fort de ce blockbuster signé Catherine Hardwicke est de parvenir à saisir les désirs adolescents en suspens. Aussi chaste soit-il, Twilight contient en effet sa part d'érotisation des corps. Le choix de Robert Pattinson et de Kristen Stewart, dont les visages expriment sans cesse la tentation, n'est pas anodin. Passionné par la charge érotique des visages, David Cronenberg ne s'y trompera pas quelques années plus tard en faisant appel à Pattinson dans le mésestimé Cosmopolis. Même chose du côté de Walter Salles, qui donnera un rôle d'importance à Kristen Stewart dans le road-movie Sur la Route. Au-delà de cette dimension, l'audace de Catherine Hardwicke est d'inverser les rôles : ce Vampire sombre et magnétique est comme une jeune fille effarouchée tandis que la jeune et belle Bella Swan est plus encline à assouvir son désir et donc plus audacieuse. Si Twilight use de gimmicks qui font souvent sourire et s'adresse avant tout aux adolescents, force est de constater qu'il parvient à cerner les premiers émois amoureux et les inquiétudes de l'adolescence (mortalité, sexualité, etc.) avec brio. Il suffit pour cela d'observer l'engouement suscité par la série auprès du jeune public pour s'en convaincre.
Thirst, ceci est mon sang, de Park Chan Wook
Sang-hyun, jeune prêtre coréen admiré de tous, décide, à l'encontre de la décision de sa hiérarchie, de se porter volontaire pour expérimenter un vaccin contre un nouveau virus mortel en Afrique. Le test est un échec cuisant et il succombe au même titre que les autres cobayes aux effets de la maladie. Contre toute attente, Sang-hyun ressuscite et ses symptômes s'estompent petit à petit. Dès son retour en Corée, de nombreux pèlerins se pressent à sa rencontre, attirés par la rumeur de sa guérison miraculeuse. Mais les bruits, les odeurs, se font de plus en plus présentes pour le jeune prêtre et il ressent brusquement une envie insatiable de sang. Il s'aperçoit bientôt qu'il n'est autre qu'un vampire…
Entièrement inspiré du roman Thérèse Raquin, Thirst, ceci est mon sang reprend donc la trame de l'œuvre d'Émile Zola mais distille une intrigue fantastique de haute tenue. Il était pourtant difficile d'imaginer une synthèse aussi pertinente entre le drame social d'un Zola et le l'horreur d'un Bram Stoker. À cela s'ajoute une once de comédie à la fois sombre et déjantée. Quelle brillante idée de faire de ce prêtre dévoué un démon conscient de ses pulsions et de ses pêchés irrépressibles. Pour soigner sa douleur, cet homme du bien dans le corps du mal ne peut s'empêcher de perpétuer la douleur. Même l'amour de dieu, dit Park Chan Wook, ne peut aider quiconque à nier ses bas instincts. Que l'on accroche ou pas au style très marqué du réalisateur Park Chan Wook (plans en plongée en pagaille, géniale utilisation du numérique pour contraster les couleurs, etc.), force est de constater que le travail accompli sur cette œuvre, notamment en ce qui concerne la progressive transformation de Sang-hyun (sens surdéveloppés, etc.), est d'une beauté sidérante. On retiendra, aussi, le personnage enivrant de Tae-Ju, qui d'abord malmenée et dédaignée, prendra, une fois transformée en Vampire, l'ascendant sur Sang-hyun dans un tourbillon enfiévré où se mêlent amour et corruption. Il s'agit sans aucun doute du meilleur film de Park Chan Wook.
Mais aussi…
- Dracula, de Tod Browning, 1931
- Et mourir de plaisir, de Roger Vadim, 1960
- Dracula, prince des ténèbres, de Terence Fisher, 1966
- Dracula et les femmes, de Freddie Francis, 1968
- Les nuits de Dracula, de Jesus Franco, 1970
- La légende des 7 vampires, de Roy Ward Baker, 1974
- Rage, de David Cronenberg, 1977
- Martin, de Georges A. Romero, 1977
- Aux frontières de l'aube, de Kathryn Bigelow, 1987
- Une nuit en enfer, de Robert Rodriguez, 1995
- Trouble Every Day, de Claire Denis, 2001
- Blade II, de Guillermo del Toro, 2002
- Dracula, pages tirées du journal d'une vierge, de Guy Maddin, 2002
- Dark Shadows, de Tim Burton, 2012