Présenté en Conseil des ministres, le projet de loi Hamon qui doit introduire dans le droit français l'action de groupe contient de nombreuses mesures destinées à rééquilibrer les relations entre consommateurs et entreprises en renforçant les droits des premiers, et les obligations ainsi que les contrôles visant les seconds. Cependant, une mesure centrale, la création d'un registre national des crédits visant à prévenir le surendettement des ménages, en a pourtant été écartée au motif qu'elle soulève des questions de droit qui nécessitent un peu plus de temps pour être résolues.
Le Conseil d'Etat, la CNIL (qui a pour mission la sauvegarde des données privées collectées par l'Etat), ainsi que des associations de consommateurs et les banques, ont estimé que le registre national du crédit aux particuliers (RNCP, aussi appelé "fichier positif"), bien qu'attendu, n'était pas conforme aux exigences de la protection des données personnelles. Il a donc été sorti du projet de loi et sera proposé lors du vote de la loi, fin juin, par voie d'amendement.
Les 9 principales mesures contenues dans le projet de loi ont été dévoilées en conseil des ministres jeudi 2 mai. Elles visent à relancer la consommation et à réguler les activités commerciales dans l'intérêt des consommateurs, des PME et TPE, et donc du pays.
Les principales mesures évoquées
1 - L'action de groupe, qui est la mesure qui a été la plus commentée, permettra aux consommateurs d'engager une action collective devant la justice civile, pour obtenir réparation en cas de préjudice relatif aux contrats de consommation ou aux pratiques anticoncurrentielles. La procédure sera menée par une des associations agréées de défense des consommateurs, et le juge vérifiera la responsabilité de l'entreprise mise en cause, l'intérêt à agir du plaignant ainsi que les modalités d'indemnisation du préjudice matériel, et seulement du préjudice matériel (pas d'indemnisation du préjudice moral ni des frais de justice).
2 - La lutte contre les clauses abusives
La lutte contre les clauses abusives est aussi dans le projet de loi, avec l'introduction du principe de nullité erga omnes : quand un contrat a été déclaré nul par une juridiction, la nullité s'applique à tous les contrats identiques conclus avec d'autres parties sans avoir à passer par une décision de justice. Cette action introduit une exception au caractère personnel de l'obligation contractuelle, qui par définition ne fait loi qu'entre les parties au contrat, c'est pourquoi elle sera réservée aux associations de défense des consommateurs agrées et à la DGCCRF.
Ainsi, il sera possible de demander la suppression de clauses abusives, mais aussi de les déclarer non écrites dans tous les contrats identiques conclus avec d’autres consommateurs. Les entreprises ayant une pratique déloyale pourront être poursuivies. Même s'il s'agit d'un cas isolé portant sur un montant de réparation négligeable, l'affaire pourra être transposée sur des centaines voire des milliers de contrats types et porter un coup sévère à l'entreprise responsable.
Le droit de la consommation distingue les clauses "noires", interdites et réputées non écrites, des clauses "grises", présumées abusives sauf si le professionnel peut justifier de leur caractère équilibré. Le projet de loi va renforcer les pouvoirs du juge en matière de lutte contre ces clauses abusives, car il est désormais obligé, dans le cadre d’un litige entre un consommateur et un professionnel, d'examiner et de relever le caractère abusif de toute clause contenue dans son contrat de consommation.
3 - Le droit des assurances
La loi actuelle est complexe et mal connue des assurés, c'est pourquoi la durée de vie des contrats d'assurance auto et habitation est en moyenne de 6 ans en France contre 2 ans aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, où les assurés peuvent résilier à tout moment. L'idée de la loi est donc de fluidifier ce marché.
Afin de favoriser la concurrence entre les différentes compagnies d'assurance et de prévoyance, les deux mesures proposées par le projet de loi dans le secteur de l'assurance sont l'assouplissement des conditions de résiliation des contrats d'assurance (fin de la règle de résiliation limitée aux dates anniversaires). Concrètement, elle permettrait aux particuliers de résilier leur contrat d’assurance dommages à tout moment, une fois passée la première échéance de celui-ci (au bout d'un an). Elle s’appliquerait essentiellement aux contrats d’assurance automobile, habitation et moto, à l’exclusion des assurances santé ou des assurances de personnes.
L'autre grande mesure consistera à introduire dans le code des assurances un droit de renoncer dans un délai de 14 jours à un contrat d’assurance couvrant un risque pour lequel on est déjà assuré, dans les domaines où le risque de multi-assurance a été identifié. L'idée étant de permettre une meilleure protection du consommateur face aux pratiques promotionnelles agressives de certaines assurances, tout en préservant les intérêts et la clientèle des autres entreprises. L'assuré devra apporter une preuve qu'il a souscrit une nouvelle assurance avant de résilier son ancienne.
4 - La modernisation des moyens d'actions de la DGCCRF
Les agents de la répression des fraudes se verront attribuer des moyens de contrôle et d’enquête pour mieux protéger le consommateur, notamment grâce à la possibilité pour les agents de ne pas décliner leur qualité lors de leurs contrôles, lorsque la preuve d’une infraction ou d’un manquement ne peut être recueillie autrement. Le projet de loi prévoit aussi la création d'une nouvelle procédure administrative à disposition de la DGCCRF permettant notamment la suspension temporaire de toute prise de paiement par un professionnel avant la livraison intégrale du produit ou l’exécution effective d’un service pour les entreprises de vente à distance. Dans le domaine du commerce électronique toujours, la DGCCRF aura le droit de saisir le juge, y compris en référé, dans le but de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un site en ligne.
L’objectif est d’éviter des procédures judiciaires longues et parfois inadaptées. Le projet de loi prévoit par ailleurs l'instauration de sanctions administratives comme alternative aux sanctions pénales pour certaines infractions : non respect des obligations d’informations précontractuelles, non respect des règles de publicité des prix, de publicités illicites pour des opérations de ventes réglementées et manquement aux dispositions encadrant les publicités par voie électronique.
5 - Renforcement des sanctions pour fraude économique
Effet collatéral des suites du scandale de la viande de cheval dans les lasagnes au bœuf, les amendes pourront atteindre jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise qui aura fraudé afin de s'assurer que la sanction lui coûtera plus cher que la fraude ne lui aura rapporté. Pour une personne physique, le montant de l'amende devrait passer de 37 500 à 300 000 € ; pour les personnes morales, de 187 500 € à 1 500 000 €, et le juge pourrait interdire au contrevenant toute activité commerciale.
Le projet de loi prévoit enfin d'étendre les possibilités de peines complémentaires pour la tromperie aux autres infractions assimilables directement ou indirectement à ce délit (interdiction d'exercice).
6 - Renforcement des droits des consommateurs sur Internet
Plus de 45 milliards d'euros de vente ont été réalisées sur Internet l'année dernière, soit 19 % de plus que l'année d'avant (et 50 % de plus qu'il y a trois ans). Dans ce contexte, le projet de loi propose de renforcer les moyens de contrôles de l'Etat en donnant à l'administration, la possibilité de saisir le juge pour faire cesser des contenus illicites en ligne. En cas de plainte d'un consommateur, la DGCCRF saisit le juge qui pourra obliger l’hébergeur français de faire cesser la diffusion du contenu illicite.
Plus globalement, le projet de loi adapte le droit interne aux nouvelles règles de l’Union européenne, ce qui a pour effet :
- d’obliger le professionnel à donner au consommateur achetant à distance, préalablement à la conclusion du contrat, un certain nombre d’informations obligatoires ;
- d’allonger le délai pendant lequel le consommateur peut se rétracter de 7 à 14 jours ;
- de définir un délai de livraison maximum de 30 jours à compter de la conclusion du contrat, et de limiter la responsabilité du consommateur en cas de perte ou d’endommagement du bien expédié.
En cas de vente forcée, le texte interdit que le consommateur soit tenu de payer, ce qui a pour effet de protéger l’internaute contre la pratique des options payantes sous forme de cases pré-cochées, dans un formulaire d'achat sur Internet (par exemple, l'assurance annulation pour certains vols).
7 - Lutte contre l'obsolescence programmée
Le projet de loi déclare la guerre à l'obsolescence programmée, pour aller vers une consommation plus responsable et durable. Une obligation d'information supplémentaire est faite aux commerçants concernant les garanties applicables et la mise à disposition des pièces détachées, sans préjuger de leur longévité. De ce fait, le gouvernement espère mettre fin aux pratiques telles que la vente par le professionnel d'une extension de garantie faisant doublon avec les garanties légales (qui sont déjà applicables à cette vente) dont le consommateur n'a pas toujours connaissance.
Par ailleurs, une proposition de loi a été déposée fin avril par le groupe EELV au Sénat, visant à allonger la durée de garantie légale de deux à cinq ans d'ici 2016, et à proposer à la vente les pièces détachées pendant dix ans minimum.
8 - Extension des indications géographiques aux produits manufacturés
Jusqu'à maintenant réservées aux produits agricoles, viticoles et autres biens naturels, les indications d'origine vont bientôt pouvoir s'étendre aux biens manufacturés. Par exemple, les célèbres couteaux du village de Laguiole verront bientôt leur origine contrôlée, et à partir de là, on pourra d'une part lutter contre les contrefaçons et d'autre part, les consommateurs auront la certitude d'acheter le "bon" produit.
La création d’indications géographiques pour les produits manufacturés, d'une part renforcera non seulement l’information des consommateurs, mais constituera également un soutien important au développement économique local. Les professionnels seront à l’origine des demandes de création d’indications géographiques, ils établiront ensemble un cahier des charges délimitant notamment l’aire géographique d'origine ainsi que les modalités de fabrication et de contrôle des produits.
9 - Rétablir l’équilibre des relations commerciales interentreprises
Cette dernière mesure vise à réduire les délais de paiement interentreprises, notamment entre petits producteurs et géants du commerce alimentaire, en renforçant les moyens d’action de l’Etat dans la lutte contre les retards de paiement, notamment par la mise en place d’un régime de sanctions administratives, en remplacement des sanctions pénales et civiles actuelles. En effet, dans les rapports entre petites et grandes entreprises, la petite ne va jamais se présenter devant la justice pour obtenir son paiement, au risque de se mettre la grande à dos (pouvant représenter plus de 50 % de ses recettes).
L'autre mesure concerne plus spécifiquement l'encadrement des relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs. Les grandes enseignes, du fait de leur puissance d’achat, refusent en effet souvent lors des négociations annuelles les augmentations tarifaires demandées par les fournisseurs, ce qui peut mettre en péril leur activité et l'emploi.