Deux semaines après la sortie en salles obscures de Cinquante Nuances de Grey, un constat s’impose : cette histoire plus guimauve et puritaine que provocatrice résiste bien mal à la comparaison et l’analyse. Un bref coup d’œil sur l’histoire du cinéma suffit en effet à révéler à quel point le septième art, même grand public, s’est bien souvent montré plus sulfureux et troublant par le passé. La preuve par dix.
"Lâcher prise", proclame l’affiche de Cinquante Nuances de Grey. Difficile de trouver assertion plus hypocrite, lorsque vient le moment de faire les comptes. La faute, sans aucun doute, à une production trop frileuse parce qu’avide d’entrées en salles, mais surtout à cette mise en scène chic-glacé jamais fiévreuse. Tout est trop lisse et trop corseté, même la nudité, dans cette adaptation du best-seller éponyme, pourtant réalisée par Sam Taylor Johnson, qui participait en 2006 à Destricted, une série de courts métrages mêlant sans pudeur art et sexualité. Quand les studios de production s’autocensurent.
Tiens, 50 Shades Of Grey s'effondre complètement en deuxième semaine. Etonnant, non? http://t.co/pd2MZUlW4S
— Adrien Gaboulaud (@adriengaboulaud) 21 Février 2015
De la subversion au cinéma, dès les années 1920
Pourtant, le cinéma, sans même en passer par la représentation de l’acte sexuel non simulé, a su tout au long de son histoire jouer habilement de l’érotisme. Déjà dans les années 1920, les surréalistes considéraient la réalité subversive du désir sexuel comme partie intégrante du cinéma, et ne lésinaient pas sur la nudité. André Breton voit alors notamment le septième art comme un médium capable de concrétiser les puissances de l’amour et la force du désir. Ce que Salvador Dali et Luis Buñuel mettent en scène dans Un chien andalou en 1928, dans lequel l’on aperçoit Pierre Batcheff malaxant les seins nus de Simone Mareuil. Plus provocateur, peut-être, L’âge d’or en 1930 dépeint la pulsion du désir en représentant la volonté de s’accoupler à même la boue, et ce en dépit de la présence d’hommes d’église et de notables. Scandale : la femme est alors donnée à voir à la fois consentante et désirante. Cette œuvre du cinéma muet également signée Buñuel sera interdite pendant un demi-siècle.
À l’heure de la censure et du code Hays
Compte tenu de la censure et notamment du code Hays, l’érotisme au cinéma n’apparaît plus frontalement à l’image jusqu’à la fin des années 1960. Dès lors, nudité, adultère, meurtre, vengeance… bref, tout ce qui porterait atteinte à la rigueur morale de l’époque se voit prohibé. C’est pourquoi durant cette période sous contrôle, les réalisateurs doivent alors rivaliser d’ingéniosité pour faire transparaître l’interdit et l’indicible de la sexualité à travers leurs images. C’est par exemple à ce moment qu’Alfred Hitchcock use d’une astuce amusante pour symboliser le passage à l’acte entre Cary Grant et Eva Marie Saint à la fin de La Mort aux trousses : un train qui pénètre dans un tunnel.
En outre, pour contourner ce refoulement, apparaissent ainsi aux États-Unis des stars comme Greta Garbo, Marlène Dietrich, Rita Hayworth, Ava Gardner et évidemment Marilyn Monroe. Comme autant d’incarnations de la femme inaccessible. On retiendra à ce titre l’un des strip-teases les plus suggérés et suggestifs du cinéma : celui de Rita Hayworth dans Gilda (1946), de Charles Vidor. Rien n’est ici montré, et pourtant le trouble n’en est pas moins évident. Mais il faudra attendre la révolution des mœurs des années 60, pour réellement observer une libération du cinéma. Le grand public verra par exemple Ursula Andress sortir de l’eau en bikini blanc dans James Bond contre Dr No en 1963 – séquence à laquelle feront écho Halle Berry dans une situation similaire en 2004 dans Meurs un autre jour, et même Daniel Craig en 2006 dans Casino Royale.
La révolution du cinéma érotique japonais
Le cinéma érotique tel qu’on le connaît aujourd’hui nous vient en grande partie du Japon. Peu avant 1964, le pays s’équipe massivement en téléviseurs en prévision des Jeux olympiques de Tokyo. C’est à ce moment que bon nombre de grosses sociétés de production japonaises font face à une chute colossale de leur audience. Ce qui amène les studios à se tourner vers des thématiques plus racoleuses, à l’instar du sexe et de la violence. Débarquent alors le "Pink eiga" ("cinéma rose") et le "Yakuza eiga". Le succès du premier est presque immédiat.
Spécificité de ce cinéma érotique : mettre en scène des scènes de nus sans montrer ni organes génitaux ni pilosités, le tout avec un budget limité et un scénario conséquent. Ce qui n’empêche pas les réalisateurs d’utiliser alors des procédés cinématographiques habiles pour dépeindre les perversions et notamment le sadisme envers les femmes – on est alors déjà loin de la chasteté d’un Cinquante nuances de Grey. C’est dans ce contexte que sortent les films de Tetsuji Takechi, cinéaste reconnu, comme Jour de rêve (1964) et autres Neige noire (1965).
Mais ce sont surtout les films des réalisateurs Koji Wakamatsu ou Noboru Tanaka qui défraient peu de temps après la chronique. Alors que la Nikkatsu, compagnie de production japonaise alors au bord du gouffre, souhaite concurrencer sa rivale historique la Toei, elle opte pour le cinéma érotique, pour l’occasion rebaptisé "roman porno". Sont produits dans la foulée L’école de la sensualité (1972), Osen la maudite (1973) et autres Prisonnière du vice (1975). Petit à petit, un débat houleux sur la liberté d’expression s’installe. Et étudiants comme intellectuels finissent par se ranger derrière la Nikkatsu, y voyant une nouvelle forme de contestation des pouvoirs politiques en place. Poursuivant cette veine contestataire, Nagisa Oshima réalise peut-être le film le plus symbolique de la période : L’Empire des sens (1976). Nettement plus cru, ce dernier est présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1976. À la clé : un succès critique teinté de polémique.
Les années 70 et la contestation sexuelle américaine
On pourra dans un premier temps citer les délires sexys et violents du réalisateur Russ Meyer, qui de Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! (1965) à La Vallée des Plaisirs (1970) en passant par Vixen (1968), n’a cessé d’abreuver l’Amérique de séries B politiquement incorrectes en réaction à la censure. Des films cultes aujourd’hui adulés par des cinéastes tels que John Waters et Quentin Tarantino – qui lui rendra d’ailleurs un vibrant hommage avec Boulevard de la mort en 2007. Mais à la différence de Gérard Damiano quelques années plus tard, Russ Meyer jouera la carte des pin-up sans vraiment tomber dans la pornographie.
Véritable pied de nez au conservatisme désuet du code Hays, l’année 1972 aux États-Unis signe l’arrivée d’un nouveau genre de cinéma. Six ans ont passé depuis la fin définitive du code de censure, et trois depuis Woodstock. L’heure est alors à la faillite du gouvernement Nixon face à la contestation contre le Vietnam. Phénomène auquel s’ajoute une contestation contre des mœurs traditionnelles jugées passéistes. C’est donc symboliquement que déferle sur le pays une vague de films pornographiques des plus explicites : c’est le cas de Gorge profonde (1972), qui donnera – ironie du sort – son nom au mystérieux informateur ayant déclenché le scandale du Watergate. S’ensuivront de grands succès, toujours outre-Atlantique, comme L’enfer de miss Jones (1973), Debbie does Dallas (1978) ou encore, la même année, Fièvre au lycée. On parle alors d’un âge d’or du X américain.
Le cinéma français à l’heure de l’âge d’or du X
Du côté de la France, Mai 68, la psychanalyse lacanienne, le libéralisme ou encore la pilule, finissent par venir à bout des tabous et imposer quelque chose de plus subversif que l’érotisme classique aseptisé. Peu après Bernardo Bertolucci et son Dernier Tango à Paris, avec Marlon Brando et Maria Schneider en rôles titres, débarquent petit à petit, dès 1973, les succès érotiques du box-office américain. Tandis que parallèlement, Bertrand Blier et Alain Robbe-Grillet sortent respectivement Les Valseuses et Glissements progressifs du plaisir en 1974. La même année, La Femme aux bottes rouges, de Juan Buñuel (le fils de Luis), voit même la sacro-sainte Catherine Deneuve se dénuder entièrement. Enfin, le succès Emmanuelle en salles obscures finit de consacrer le porno soft auprès du grand public.
L’érotisme au cinéma et dans les séries aujourd’hui
Face à l’engouement populaire pour le cinéma X, la catégorie s’est vue reléguée dans des salles spécialisées à partir de 1975, situation qui s’est peu à peu muée en censure économique et culturelle. Résultat, l’érotisme au cinéma aujourd’hui rejoue la carte du suggéré par opposition au dévoilement. Ce qui n’empêche pas le moins du monde les plus grands cinéastes d’en emprunter largement les ressorts, et ce sans concession. Loin, très loin, de la subversion pasteurisée d’un Cinquante nuances de Grey.
En voici 11 exemples, parmi lesquels – sans surprise – deux films de David Cronenberg, grand spécialiste du trouble érotique. À noter que le réalisateur Paul Verhoeven aurait pu à lui seul occupait ce top tant sa filmographie, de Turkish Délices à Black Book en passant par Total Recall – rappelez-vous l’extra-terrestre à trois seins dans le tripot martien – ou même Starship Troopers et ses douches mixtes, abondent d’exemples en tous genres. Mais de nombreux autres cinéastes, à l’instar de Jean-Claude Brisseau ou Brian de Palma, auraient pu aisément trouver leur place dans cette sélection évidemment non exhaustive et arbitraire.
Les Prédateurs, Tony Scott, 1983
Catherine Deneuve et Susan Sarandon devant la caméra de feu Tony Scott… l’une des séquences saphiques les plus cultes de l’histoire du cinéma.
9 semaines 1/2, Adrian Lyne, 1986
Deux ans avant le mièvre J'ai épousé une extra-terrestre, Kim Basinger s'adonnait déjà à un strip-tease, alors sous le regard de Mickey Rourke. L'un des films cultes de la décennie 80.
Basic Instinct, Paul Verhoeven, 1992
On ne présente plus Catherine Tramell et son charme vénéneux…
Crash, David Cronenberg, 1996
Prix spécial du jury au festival de Cannes 1996, ce film signé par le réalisateur de La Mouche est sexy et dérangeant à la fois.
Eyes Wide Shut, Stanley Kubrick, 1999
Non, le docteur William "Bill" Harford (alias Tom Cruise) ne s’attendait définitivement pas à tomber sur ce manoir étrange cette nuit-là…
A History of Violence, David Cronenberg, 2005
Le fantasme américain de la cheerleader, par David Cronenberg.
Lust, Caution, Ang Lee, 2008
L’après-guerre teinté d’élans passionnels et d’aventures romanesques.
Piranha 3D, Alexandre Aja, 2010
Quand Alexandre Aja mélange silicone et Léo Délibes, cela donne un ballet de sirènes sur fond de Lakmé, le célèbre opéra. Beau et vulgaire à la fois.
Nymphomaniac, Lars Von Trier, 2013
Le sulfureux réalisateur danois n’en est plus à une provocation près. On notera qu’une version longue non censurée de ce film inspiré des écrits du marquis de Sade existe. Sa durée : 5h30.
Game of Thrones, saison 4, 2014
La représentation de la sexualité, ingrédient de base de la série Game of Thrones…
True Detective, saison 1, 2014
Pour Woody Harrelson, Alexandra Daddario enlève le haut. Une tendance entre autres initiée dans le domaine des séries par HBO, avec Les Sopranos (1999 – 2007).