La carpe et les Hommes

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Un pêcheur et une carpe, dessin de Benjamin Rabier
Un pêcheur et une carpe, dessin de Benjamin Rabier
Bien qu'ayant perdu ses valeurs marchande et culinaire, la carpe est l'objet de toutes les attentions des pêcheurs modernes, les carpistes, qui voient en elle non plus une proie mais une partenaire que l'on remet à l'eau si toutefois on parvient à tromper sa légendaire prudence.

Les carpes dans notre histoire et notre culture

Brève Histoire de la carpe
C'est une très longue histoire. La carpe est présente dans la préhistoire chinoise où très vite elle a été domestiquée à des fins alimentaires.
Partant du principe élémentaire que rien ne se crée et que tout se transforme, les paysans chinois entretiennent encore des petits élevages familiaux où absolument tous les déchets organiques, même ceux des toilettes, sont recyclés.

En Europe, elles ont sûrement suivies à l'instar d'autres espèces comme le lapin (Tiens ! des carpes et des lapins unis dans la même destinée... !) les armées romaines dans leurs conquêtes.

De ces pérégrinations, elles auraient acquis leur nom scientifique : Cyprinus Carpio. Henri Limouzin, un fin connaisseur de la chose halieutique (science de l'exploitation des ressources vivantes aquatiques), voit dans ce Cyprinus un lien avec l'actuelle île de Chypre par où elles auraient sûrement transitées.

Voyage de Marco Polo
Voyage de Marco Polo

Légendes et faits
Sans doute à cause de sa popularité la carpe est l'objet de nombreuses croyances et idées reçues.

Les plus vielles carpes des bassins du château de Versailles auraient été nourries, il y a quelque 400 ans par Louis XIV, lui-même.

Les premières carpes seraient arrivées en Europe, ramenées de Chine par Marco Polo. L'histoire est belle mais il est difficile d'imaginer notre voyageur transportant au moins un couple de ces poissons pendant des mois au beau milieu des steppes de l'Asie centrale.

En revanche, et ceci n'est pas une légende, si pour une raison ou une autre vous êtes en possession d'une carpe d'une vingtaine de kilos ou plus... (Attention ce commerce est assujetti à des lois !) Vous pouvez la vendre une petite fortune (sans doute au-delà de 1 500 €) à un centre de pêche de loisirs spécialisé. Là, votre poisson pactole sera l'objet de toutes les envies des carpistes. Ces ultra-passionnés la pêcheront (peut-être) et ensuite (c'est certain) la remettront à l'eau après l'avoir photographiée et même embrassée.

Gefilte fish
Gefilte fish

La carpe dans notre assiette
Longtemps les carpes élevées extensivement en étang ont nourri notre humanité. En trois ans, simplement avec la nourriture offerte par le milieu naturel, une carpe atteint le poids commercialisable de 2 kg. Ces rendements ont fait la richesse de régions comme la Brenne, la Camargue, la région des Dombes et la Sologne.

Il fut un temps où le poisson d'eau douce se vendait très bien, le commerce en était presque forcé. Le clergé étant propriétaire des étangs, il pouvait à son gré imposer les périodes de carême pendant lesquelles il n'était permis que de manger du poisson élevé par les moines.
Alexandre Dumas qui fut un gourmand gastronome, dans son Grand Dictionnaire de la Cuisine Française, préconise de ne pas en perdre une miette ; tout est bon dans la carpe lorsqu'elle est farcie.

Elle est aussi excellente en compagnie d'autres poissons d'eau douce sous forme de pochouse (c'est une sorte de bouillabaisse d'eau douce très appréciée en Franche-Comté). Il emploie également les langues comme accompagnement et la laitance pour lier les sauces.
Depuis quelques décennies le poisson d'eau douce ne fait plus recette. La carpe a déserté les étals des poissonniers et les tables des restaurants. Les piscicultures survivent en vendant leur production aux populations d'origine asiatiques.

Elles fournissent aussi bien sûr les tables juives à l'occasion de fêtes comme un mariage ou une bar-mitsva où le fameux gefilte fish, la carpe farcie, est toujours à l'honneur chez les ashkénazes.

La recette du gefilte fish : Vider la carpe et la couper en tranches ; saler et laisser reposer 24 heures. Extraire les parties les plus charnues et hacher avec deux oignons ; dans un plat profond, mélanger avec oeufs, sel, poivre, un peu de sucre, des amandes en poudre et du pain azyme pour obtenir une farce. Puis faire une sorte de court bouillon avec la tête et les tranches de la carpe, du sel, du poivre, du sucre ; cuisson 6 minutes à l'autocuiseur. On laisse refroidir et on sert avec la farce.

Etymologie

Carpe vient du wallon carpai.

Les synonymes
Il n'y en a guère. On peut quand même parler de carpeaux pour désigner les jeunes carpes et plus précisément de feuilles lorsqu'il s'agit de carpes pesant entre 400 et 800g.

Les homonymes
La carpe est la partie du membre supérieur située entre l'avant bras et la paume de la main.
C'est aussi la partie externe du bord supérieur de l'aile de l'insecte.

Sauts de carpe à deux stades différents
Sauts de carpe à deux stades différents

Quelques expressions

  • "Le mariage de la carpe et du lapin" signifie un projet d'association à peine envisageable tellement les deux partis sont différents, et de toute façon voué à l'échec.
  • "Carpe diem", expression latine qui n'a rien à voir avec la carpe ; elle signifie dans la bouche d'Horace : profite du jour présent… pourquoi pas pour aller pêcher la carpe ?
  • "Muet comme une carpe", bien sûr la carpe ne s'exprime pas avec des mots mais il existe un langage "carpe" essentiellement olfactif et gestuel qui préside à sa vie sociale (territorialité, reproduction).
  • "Saut de carpe", c'est une figure où un gymnaste effectue un saut avant ou arrière en aidant sa prise d'élan en posant ses mains sur le sol.

Où rencontrer des carpes ?

À l'état sauvage, partout où il y a des eaux calmes et stagnantes avec des fonds de vase ou de sable et une végétation aquatique abondante. Les populations sont nombreuses partout en France sauf dans deux départements bretons, le Finistère et les Côtes du nord ; ainsi que dans deux départements du nord, l'Aisne et le Nord.

Dans des plans d'eau privés loués à la journée ou à la semaine à des carpistes.

A l'état semi-sauvage, dans les bassins des parcs et châteaux, où le spectacle vaut la peine en juin en période de frai.

Dans quelques aquariums qui ont la bonne idée de montrer autre chose que des piranhas ou des requins.

La Pêche de la carpe

Gravure de Benjamin Rabier
Gravure de Benjamin Rabier

Dans toutes nos considérations halieutiques nous privilégierons l'expression pêche de la carpe plutôt que pêche à la carpe. D'abord parce que le bon usage de la langue française l'exige et ensuite parce que nous garderons "pêche à la carpe" pour parler d'une pêche où la carpe serait un appât (un vif). Dans ce cas on ne pêche plus quelque chose mais on pêche à l'aide de quelque chose.
Les carpes sont des poissons méfiants et puissants qui ne se laissent pas prendre par les pêcheurs du dimanche. Il existe dans ce domaine, comme dans bien d'autres, une querelle des anciens et des modernes.

Les anciens
Ils sont adeptes de la préparation du coup bien longtemps à l'avance en l'amorçant régulièrement avec un mélange. La base de ce mélange sera de la terre de berge à laquelle vous incorporerez un litre de chènevis moulu que vous avez fait cuire à feu doux, du blé bouilli, des pommes de terre et du pain trempé. L'esche pourra être un petit cube de pomme de terre, deux ou trois grains de blé, une boulette de pain, de pâte ou une féverole fixée sur un hameçon de 8.
En pratiquant toujours l'art du mélange, les anciens confectionnaient aussi des pelotes avec de la terre mouillée de sang et améliorée avec des morceaux de fromage fondu, le tout largement farci d'asticots bien vivants.

Pêche
Pêche "moderne" de la carpe © G.Houdou

Les modernes
Parler de technique serait s'aventurer sur des terrains tellement difficiles que des magazines spécialisés (Carpes magazine, Média Carpes et Carpes Record) ont, eux-mêmes, du mal à suivre le rythme des innovations. Apprécions néanmoins la façon dont Georges et Jean-Pierre Fleury décrivent la passion de ces pêcheurs modernes dans Histoires de Saisons (Ed. Grasset) :

Les pêcheurs de carpes sont devenus des carpistes. De doux dingues capables de passer une semaine jour et nuit au bord d'un plan d'eau. De faire fondre leurs économies pour acquérir un matériel de pêche qui semble avoir été conçu par les ingénieurs de la Nasa et des appâts si délicats, bouillettes à la fraise, au caramel voire au caviar, qu'ils pourraient avoir été préparés par la toque d'un trois-étoiles.
Et pourquoi tout cela ? Tout juste dans l'espoir de prendre une belle carpe que nos carpistes s'empresseront de peser. Le temps d'une photo souvenir, ils la câlineront puis après l'avoir embrassée, ils la remettront à l'eau avec les gestes tendres d'une maman qui lange pour la première fois son nouveau-né.

Article réalisé par Gérard Houdou et Jean-Pierre Fleury.

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