Un film d'espionnage, c'est quoi ?
Nébuleux, le cinéma d'espionnage se situe à la lisière du film de guerre, du film policier, du cinéma d'aventure et même parfois de la science-fiction. Bien souvent, il traduit assez fidèlement les événements politiques et militaires, et sonde les rivalités idéologiques des grandes puissances. Dans la plupart des oeuvres phares du genre, une même obsession : la guerre sans armes. Dès la fin des années 1930 et surtout au début des années 1940, les Etats-Unis mobilisent le tout Hollywood dans l'optique de sensibiliser le monde aux dangers de l'espionnage allemand et japonais (cf. Les confessions d'un agent nazi, d'Anatole Litvak ; Correspondant 17, d'Alfred Hitchcock, etc.). Toujours plus prompt à l'antinazisme, Hitchcock réalise Cinquième Colonne, en 1942.
À noter que le spectre du nazisme ressurgira à de nombreuses reprises tout au long de l'histoire du cinéma d'espionnage (cf. Berlin Express, de Jacques Tourneur ; Marathon Man, de John Schlesinger). A partir de 1962, le genre prend une teinte beaucoup plus glamour et commerciale avec James Bond contre Dr. No. Cinquante ans plus tard, la recette de la série est toujours la même. Les années 1970 et le bouleversement du Watergate inspirent les cinéastes. L'espionnage se pare dès lors d'une dimension paranoïaque plus visible que jamais (cf. Conversation Secrète, de F. F. Coppola ; Les Trois Jours du Condor, de Sydney Pollack ; Les Hommes du Président, d'Alan J. Pakula). De La Mort aux Trousses à James Bond, voici notre sélection des meilleurs films d'espionnage.
Les Espions, de Fritz Lang
Cette porte que l'on pousse dans le consul de Novonie pourrait être un événement parfaitement anodin s'il se déroulait en plein jour. Mais la nuit est noire et le bureau des archives du consul renferme des documents relevant de la sécurité nationale. Des mains gantées s'emparent de dossiers que l'on imagine de la plus haute importance. De fait, la une des journaux du lendemain fait état d'un vol de documents secrets perpétré par une organisation clandestine d'Europe centrale. À cela s'ajoute bientôt l'assassinat d'un diplomate de premier ordre. Le chef des services secrets Burton Jason fait bientôt l'objet de vives critiques de la part du ministère de l'intérieur…
En s'inspirant d'une affaire d'espionnage célèbre dans les années 1920, Fritz Lang renoue avec sa verve feuilletonnesque initiée avec Docteur Mabuse (1922). Un train s'écrase contre un wagon immobile, une bombe explose, une voiture s'encastre dans une maison, un diplomate japonais se fait assassiner : les péripéties sont nombreuses et riches en rebondissements. On pourrait même parler d'aventure. Sur le plan formel, Lang tourne définitivement le dos à l'expressionnisme pour offrir une esthétique réaliste qui rappelle celle du maître du suspense Alfred Hitchcock. Tous les motifs récurrents du cinéaste sont déjà présents en filigrane : culpabilité et rédemption.
L'Affaire Cicéron, de Joseph L. Mankiewicz
Ankara, 1943. Diello, valet de l'ambassadeur d'Angleterre, propose de livrer aux nazis des documents classés top secret appartenant aux alliés en échange d'une importante somme d'argent. Moyzisch, attaché de l'ambassade d'Allemagne, parvient à prendre contact avec l'espion Diello, nom de code "Cicéron"…
Pourvue de l'élégance et de la mondanité d'un Ernst Lubitsch, et du suspense d'un Alfred Hitchcock, L'Affaire Cicéron n'est pas seulement un film d'espionnage. Il s'agit aussi d'une histoire d'amour sous acide où se révèlent l'orgueil et la poursuite chimérique de l'image. On remarquera la présence de la musique de Bernard Herrmann, qui deviendra deux années plus tard le compositeur attitré d'Alfred Hitchcock. Comme souvent chez Mankiewicz, le film est composé de nombreux flash-back. Quant aux dialogues, c'est le comble de la sophistication.
La Mort aux trousses, d'Alfred Hitchcock
Suite à un malheureux malentendu, le serein Roger Thornhill, cadre dans la publicité, réchappe de peu à une tentative de meurtre perpétrée par les tueurs à gages d'un certain Philip Vandamm. Bientôt, Roger fait l'objet d'un avis de recherche lancé par les polices du monde entier, pour l'assassinat d'un diplomate au Palais des Nations-Unies.
Un an après le prodigieux Sueurs Froides (Vertigo), Alfred Hitchock tourne son film le plus tonique : La Mort aux trousses. Alors que le premier mettait en scène l'impossible amour entre deux êtres, le second célèbre les forces de l'amour face à tous les obstacles (trahisons, etc.). En ce sens, il est donc possible de considérer La Mort aux trousses comme la suite rédemptrice de Vertigo. Indépendamment de cet aspect théorique, cette oeuvre met en place tous les ingrédients du thriller moderne : chaque scène mélange à la fois l'humour et le danger de mort. Un peu comme le feront, bien plus tard, les longs métrages avec Harrison Ford ou encore Bruce Willis. Chef d'œuvre, évidemment.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- L'Homme qui en savait trop, 1934 ;
- Sabotage, 1936 ;
- Une femme disparait, 1938 ;
- Correspondant 17, 1940 ;
- Cinquième colonne, 1942 ;
- Les Enchainés, 1946 ;
- Le Rideau déchiré, 1966.
James Bond 007 contre Dr. No, de Terence Young
Kingston, Jamaïque. Trois tueurs à gages qui se font passer pour des aveugles abattent John Strangways, un agent secret britannique ainsi que sa secrétaire, puis dérobent dans leurs archives les dossiers du Docteur No et de l'île de Crab Key. Aussitôt alertés, les services du MI6 et son directeur M font appel à l'agent secret James Bond.
Lorsque James Bond contre Dr. No sort en salles en 1962, l'acteur Sean Connery est encore inconnu du grand public. Propulsé au rang de star internationale, celui-ci devient instantanément une icône. On notera la présence de la plantureuse Ursula Andress en première James Bond girl de l'histoire du cinéma. Et l'on retiendra par ailleurs une séquence culte, alors que James Bond s'adresse à son adversaire de jeu qui s'obstine malgré les défaites : "J'admire votre courage Mademoiselle…". "Trench, Sylvia Trench, et j'admire votre chance Monsieur…". "Bond, James Bond". Ce cocktail glamour et poseur agrémenté de scènes d'action est une réussite. Réussite qu'aucun des opus suivants ne parviendra à égaler.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- Bons baisers de Russie, 1963 ;
- Opération Tonnerre, 1965.
La Guerre est finie, d'Alain Resnais
Carlos, Domingo, René Sallanches… Diego utilise de nombreux pseudonymes pour brouiller les pistes. C'est que Diego est un cadre permanent du Parti Communiste espagnol. Désormais installé à Paris, où il est exilé depuis l'accession au pouvoir du Général Franco, il vient de rentrer d'une mission clandestine outre Pyrénées. Mais peu à peu, celui-ci commence à douter de l'utilité de la lutte antifranquiste…
Quelles sont les nouvelles formes de luttes pour permettre le retour de la démocratie en Espagne, s'interroge le réalisateur Alain Resnais. Au-delà de sa dimension d'espionnage, La Guerre est finie est une œuvre politique. Contrairement au schéma habituel du cinéma de Resnais, l'intrigue se veut ici plus linéaire et didactique. Ce qui n'empêche pas, néanmoins, le film de se présenter sous la forme d'un puzzle mêlant flash-back et flash-forward. Pour Alain Resnais, le spectateur doit être en action et réaliser un travail mental de reconstitution. Une expérience visuelle fascinante.
NB : Compte tenu de son engagement, le film fait à l'époque polémique auprès du ministère de l'intérieur espagnol, tant et si bien que celui-ci décide de le faire retirer de la compétition officielle du Festival de Cannes en 1966. Même configuration dans de nombreux festivals en Tchéquie (encore Tchécoslovaquie à l'époque). Avec l'appui du réalisateur Milos Forman, celui-ci se verra néanmoins décerner un prix spécial.
Maldonne pour un espion, d'Anthony Mann
Voilà dix-huit ans que l'agent soviétique Alexander Eberlin est infiltré au sein du MI.5, l'organisation de contre-espionnage britannique. Après avoir rendu de précieux services pour sa patrie, il ne souhaite plus qu'une seule chose : regagner son pays. Mais la mère Russie a trop besoin de lui pour consentir à son désistement. Bientôt, Eberlin est convoqué par Fraser, son supérieur direct au sein du MI.5, pour lui faire part d'une nouvelle mission : abattre l'agent double à l'origine du récent assassinat de trois espions anglais. Mais cette taupe n'est autre qu'Eberlin lui-même…
Avec Le Rideau Déchiré et L'étau (A. Hitchcock), La Lettre du Kremlin (John Huston) et Le Serpent (Henri Verneuil), Maldonne pour un espion est une des œuvres principales abordant la guerre froide. Injustement dépréciée, celle-ci est dotée d'une intrigue aussi complexe que désenchantée. Au cours de prises en extérieur à Berlin, le réalisateur Anthony Mann est foudroyé par une crise cardiaque. C'est alors l'acteur Laurence Harvey, très impliqué sur le projet, qui prend le relais de la direction du tournage au cours des deux dernières semaines. C'est la raison pour laquelle on ne retrouve malheureusement pas la virtuosité de Mann dans la seconde partie du long métrage. Deux thèmes principaux sont ici abordés avec habileté : l'inéluctabilité de la mort et la perte d'identité. Mention spéciale pour la musique de Quincy Jones et les costumes signés Pierre Cardin, qui donnent un ton encore plus sombre à cette histoire de fatalité.
Conversation Secrète, de Francis Ford Coppola
Harry Caul excelle dans la prise et l'enregistrement des sons. Il est d'ailleurs régulièrement sollicité par des clients pour capter certaines conversations. Après avoir réalisé un enregistrement d'un couple en plein cœur d'un quartier populaire de San Francisco, Harry rentre chez lui pour le réécouter. Il détient pour cela un véritable laboratoire contenant d'innombrables appareils électroniques ultra sophistiqués. En réentendant les bandes, il croit comprendre que les jeunes gens qu'il vient d'espionner sont en danger de mort. Il décide alors de conserver l'enregistrement et de ne pas le remettre à M.C., son mystérieux commanditaire…
Superbement réalisé (cf. Francis Ford Coppola) et interprété (cf. Gene Hackman), Conversation Secrète est un film ténébreux où la frontière entre le complot, la paranoïa et la psychose est infime. On pense par moment à Blow Up (Michelangelo Antonioni), Blow Out (Brian de Palma) ou encore à Les Trois Jours du Condor (Sydney Pollack). Jusqu'au bout, le mystère qui entoure cette œuvre reste entier. Petit à petit, la folie qui habite Harry Caul se fait de plus en plus présente. Très proche du thriller, l'atmosphère est suffocante de bout en bout. On se prend à partager les impressions et hallucinations du personnage principal.
NB : À noter que Conversation Secrète a décroché la Palme d'Or en 1974. Cinq ans plus tard, Francis Ford Coppola remportait le trophée tant convoité pour la seconde fois, avec Apocalypse Now.
Dans le même genre : Marathon Man, de John Schlesinger, 1976.
Les Trois Jours du Condor, de Sydney Pollack
Écrivain raté, Joseph Turner occupe depuis peu un poste de chercheur à la Société de Littérature Américaine de Manhattan, qui n'est autre qu'une des nombreuses délégations de la C.I.A. Avec son équipe, Joseph analyse et décrypte tous les romans d'espionnage afin d'y dénicher d'éventuelles informations cachées. Un jour, il découvre un réseau de taupes au sein même de la C.I.A. et en fait aussitôt part à sa hiérarchie. Pendant ce temps, deux hommes qui se font passer pour des facteurs abattent tous les membres de l'équipe de Joseph. A son retour, ce dernier découvre le massacre et ne tarde pas à s'enfuir.
Réalisé trois mois seulement après le scandale du Water Gate, Les Trois Jours du Condor est emprunt de la même paranoïa que celle qui submerge alors l'Amérique. On ne sait pas vraiment d'où provient le danger, s'il existe réellement ou s'il s'agit d'une hallucination collective. Le personnage principal (interprété par Robert Redford) est à l'image du célèbre journaliste Bob Woodward dans Les Hommes du Président (également campé par Redford) : poursuivi par une force invisible et informe. On sent fortement l'influence de Conversation Secrète, mais aussi celle d'Hitchcock. Comme dans La Mort aux Trousses, le héros (Turner) est pris malgré lui dans les mailles d'une vaste machination. Petit à petit, il va comprendre que le Bien et le Mal sont des notions bien galvaudées et qu'il ne peut faire confiance à personne. Seul refuge possible : la paranoïa. L'une des œuvres les plus remarquables de Sydney Pollack, sans aucun doute.
Dans le même genre : Les Hommes du Président, d'Alan J. Pakula, 1976.
La Sentinelle, d'Arnaud Desplechin
Mathias est le fils d'un diplomate français basé en Allemagne. Son monde : celui des conventions, des grands mots et des secrets. Dans le train, accompagné de son ami Jean-Jacques et alors qu'il regagne la France pour y suivre des études de médecine légale, il est agressé gratuitement par un dénommé Breicher, de la police des frontières. Peu de temps après, il trouve dans sa valise une tête momifiée. A qui appartient-elle et pour quelle raison l'en a-t-on fait le dépositaire ?
Avec son scénario complexe qui tend vers l'imaginaire (cf. la tête coupée) et son évocation du cinéma de la Nouvelle Vague, La Sentinelle rappelle par instant les oeuvres du cinéaste Alain Resnais. Film d'espionnage oblige, l'intrigue est épineuse : en parallèle du fil narratif de Mathias, pas moins de cinq personnages de même importance prennent corps aux yeux du spectateur. Dans le flux de l'histoire, le réalisateur Arnaud Desplechin a distillé trois thèmes essentiels pour Mathias : l'initiation à l'amitié, à l'amour et à la vie professionnelle ; le cas de conscience qui l'amène à démasquer les coupables ; la nécessité de trouver une place dans un monde qui a perdu ses repères depuis la chute du mur de Berlin. Petit à petit, Mathias se fait la sentinelle d'un monde en mutation. Mention spéciale pour les interprétations d'Emmanuel Salinger et d'Emmanuelle Devos.
Munich, de Steven Spielberg
Nuit du 5 septembre 1972. Un commando de l'organisation palestinienne Septembre Noir pénètre dans le Village Olympique à Munich et enfonce l'entrée du pavillon israélien. Après avoir tué deux des occupants, neuf autres personnes sont prises en otages. 21 heures plus tard, pas un seul d'entre eux n'en réchappe. 900 millions de téléspectateurs découvrent la nouvelle face du terrorisme. Par mesure de représailles, le gouvernement ordonne l'exécution de nombreux responsables de l'organisation Septembre Noir. Nom de code de l'opération : "Colère de Dieu".
Des agents doubles, des missions dépourvues de toute éthique et au final, d'une quelconque utilité : toutes les caractéristiques du film d'espionnage sont réunies dans ce film signé Steven Spielberg. On sent bien ici la volonté du cinéaste de donner corps à des événements politiques et militaires d'importance et de prendre la température des oppositions idéologiques. La force de Munich est de parvenir à montrer qu'aucune cause politique n'est juste si elle suppose l'exécution d'êtres humains. Pour ce faire, Spielberg met en scène des personnages bien plus complexes et captivants que les idées pour lesquelles ils se battent. Mais ce n'est pas tout : parce que le réalisateur aborde de front l'échec de la stratégie de Golda Meir, alors premier ministre d'Israël, et parce que l'un des derniers plans montre les tours jumelles, Munich est un long métrage politique. Son message : pourquoi répondre à la violence par la violence ? Remarquable.
La Taupe, de Tomas Alfredson
1973. Peu de temps après l'échec retentissant d'une mission de la plus haute importance à Budapest, Control, le patron du MI.6, signe sa démission. George Smiley, son loyal bras-droit, doit également quitter le "Cirque", le quartier général des services secrets britanniques. Quelques mois auparavant, Control avait fait appel à Jim Prideaux pour une mission risquée : rejoindre un informateur à Budaptest pour obtenir le nom de "la taupe", suspectée depuis longtemps d'avoir infiltré le MI.6. L'opération se révèle alors un désastre et entraîne la mort de Prideaux et d'une civile innocente. Dorénavant à la tête de l'organisation, Percy Alleline tente de redorer le blason du service auprès des américains.
Comme dans le touffu roman éponyme de John le Carré, dont La Taupe s'inspire, de nombreuses pistes restent d'abord suspendues, reprises puis enfin dénouées. A l'image de son prédécesseur (Morse, de Tomas Alfredson), La Taupe est un film crépusculaire. Tout dans la réalisation laisse penser à la fin d'un monde. Les hommes eux-mêmes ne semblent désormais plus croire en cet univers et encore moins en les hommes qui le composent. Les lieux utilisés pour mettre en scène l'intrigue sont relativement limités : une rue à Budapest, quelques plans d'Ankara, le bâtiment du MI.6, un bras de rivière, une maison en ruine ou encore un aéroport désert. Cette aridité de la mise en scène et des personnages est là pour souligner la fuite des idéaux, notamment ce modèle occidental en qui plus personne ne croit. Au même titre que la plupart des films d'espionnage, ce que les espions neutralisent au travers de l'ennemi n'est autre que leur propre existence. A ce titre, Jim Prideaux et Bill Haydon ne pourront jamais connaître l'amour. L'intrigue ultra-complexe de La Taupe est intelligemment contrebalancée par une esthétique sobre. Un long métrage d'espionnage comme on n'en fait plus.
Mais aussi…
- Ipcress, danger immédiat, de Sidney J. Furie, 1965
- La lettre du Kremlin, de John Huston, 1969
- Un espion de trop, de Don Siegel, 1977
- La Mémoire dans la peau, de Doug Liman, 2002
- Une lueur dans la nuit, de David Seltzer, 1992
- Triple Agent, d'Eric Rohmer, 2003
- Le Serpent, d'Henri Verneuil, 1973
- Firefox, de Clint Eastwood, 1982
- Osterman week-end, de Sam Peckinpah, 1983
- A la poursuite d'Octobre Rouge, de John Mc Tiernan, 1990
- Demonlover, d'Olivier Assayas, 2002
- Espion(s), de Nicolas Saada, 2009
- L'Affaire Farewell, de Christian Carion, 2009