Le drame au cinéma
Le genre du drame au cinéma s'illustre au travers de six courants principaux : le drame de l'enfance, qui met souvent en scène une jeunesse loin des stéréotypes idéalisés (ex : L'Enfance Nue, Le Gamin au Vélo, etc.) ; le drame de l'adolescence (ex : Jeux Interdits, La Fureur de Vivre, Virgin Suicides) ; le drame psychologique, où l'adulte est en proie à ses responsabilités, aux souvenirs et à la mort qui approche (ex : Les Fraises Sauvages, Eyes Wide Shut) ; le drame sentimental ou la faillite des sentiments (ex : 2046, Les Amours Imaginaires) ; le drame épique, qui raconte souvent la chute d'un héros ou d'une communauté (ex : There Will Be Blood, The Tree of Life) ; et enfin le drame social (ex : Sweet Sixteen, La Graine et le Mulet). De Les 400 Coups à Still Life en passant par Le Mépris, nous avons sélectionné pour vous, au travers de chacune de ces catégories du drame, les meilleurs films.Les 400 Coups, de François Truffaut
Paris, fin des années 1950. Antoine Doinel est un écolier malicieux, espiègle mais également turbulent. Accompagné de son ami René, il sèche volontiers les cours pour se rendre au cinéma dans le quartier de la place Clichy. La relation amoureuse de ses parents est assez tumultueuse. D'ailleurs, Antoine le sait depuis longtemps déjà : il n'est pas "le fils de son père". Un soir, il aperçoit sa mère au bras d'un inconnu. Dès lors, il décide de faire une fugue…
Drame de l'enfance. De bout en bout, Les 400 Coups repose sur une opposition nette. Dans les séquences en intérieur, la mise en scène est composée de gros-plans fixes. Dans celles en extérieur, le cadrage est ample et souvent mobile. François Truffaut cherche sans aucun doute grâce à ce contraste à mettre en évidence l'oppression qu'Antoine ressent dès lors qu'il est entre quatre murs. A l'inverse, la liberté et le bien-être sont on ne peut plus perceptibles dans les scènes en extérieur. Alors qu'il ne cesse de se faire gronder et punir par sa mère lorsqu'il se trouve chez lui, cette dernière ne prononcera pas un mot lorsqu'elle se fera surprendre en pleine rue par son fils au bras de son amant. À noter que le film introduit à la perfection un thème que l'on retrouvera tout au long de la filmographie de Truffaut : la peur et la haine de la mère/femme. Si Antoine vole, c'est évidemment pour compenser l'amour que ne lui a pas donné sa mère. Superbement réalisé et interprété par un Jean-Pierre Léaud alors aux prémisses de sa carrière, Les 400 Coups fait partie de ces films qui restent gravés dans la mémoire, à tout jamais.
Les 400 Coups est le premier volet d'une saga consacrée à Antoine Doinel (qui n'est autre qu'une projection de François Truffaut). Suivront un peu plus tard et toujours avec Jean-Pierre Léaud, le court-métrage Antoine et Colette (1962), Baisers Volés (1968), Domicile Conjugal (1970) et L'Amour en Fuite (1979).
Dans le même genre et du même réalisateur : L'Enfant Sauvage, 1961 ; Baisers Volés, 1968 ; Les Deux Anglaises et le Continent, 1971 ; L'Histoire d'Adèle H., 1975
L'Incompris, de Luigi Comencini
Florence, fin des années 1960. Sir Duncombe, consul de Grande Bretagne, vient de perdre son épouse prématurément. C'est son fils ainé Andrea, dix ans, qui l'a averti de la triste nouvelle. Afin de ne pas bouleverser Milo, son fils de cinq ans, Duncombe préfère lui raconter que sa mère est partie en vacances. Très liés l'un à l'autre, Andrea et Milo ne cessent jour après jour de faire les quatre cents coups, érodant toujours davantage la patience des gouvernantes. Retenu par ses fonctions, Duncombe est rarement à la maison pour s'occuper de ses enfants. Un soir, excédé par les plaintes de la gouvernante, celui-ci juge Andrea comme un enfant insensible et irresponsable. Mais ce dernier souffre en réalité en silence et supporte amèrement la préférence de son père pour son petit frère Milo…
Drame de l'enfance. Longtemps resté dans l'ombre et largement vilipendé à sa sortie, L'Incompris est pourtant l'un des films les plus réussis sur le drame de l'enfance. Andrea est le personnage central de ce superbe mélodrame, mais aussi la victime de douleurs intolérables qui se superposent : il souffre à la fois de la mort de sa mère, qu'il doit cacher à son jeune frère, puis échoue à démontrer à son père qu'il n'est pas l'enfant insensible qu'il croit. Mais Andrea ne parviendra que fatalement à se délivrer du mal qui le ronge. À noter que l'emploi du concerto en la majeur de Mozart est une réussite de bout en bout, le thème venant appuyer les séquences les plus dramatiques. Mention spéciale pour le plan final, où se reflètent Andrea et son père sur le portrait de la mère défunte. Exceptionnel.
Dans le même genre et du même réalisateur : Casanova, un adolescent à Venise, 1969
Amarcord, de Federico Fellini
Années 1930, au moment du fascisme triomphant. Dans le petit bourg de Rimini, à quelques pas de la mer, la vie provinciale suit son cours inflexiblement. La rue principale de la ville est chaque jour le théâtre d'un ballet identique : les bourgeois pavanent, les braves gens se promènent, les enfants traînent des pieds, à la recherche d'une nouvelle victime pour expérimenter l'une de leurs nouvelles et innocentes plaisanteries. Parmi ces gamins, un jeune garçon nommé Titta, secrètement épris d'une vamp locale nommée la Gradisca. Celui-ci va connaître durant un an des expériences tour à tour drôles et poignantes.
Drame de l'adolescence. En patois italien, Amarcord veut dire "Je me souviens". Cette Italie que nous compte Federico Fellini, c'est celle qui a bercé son enfance. Au cours d'une cure en 1967, le metteur en scène eût l'idée de réaliser un film à propos de la petite bourgeoisie catholique fasciste et sans esprit qu'il avait connue étant jeune. C'est à ce moment là que débuta le projet d'Amarcord. Pour réaliser cette critique et surtout la rendre tolérable, Fellini l'a mise en scène sous le voile de ses souvenirs et d'une réalité fantasmée. On a le sentiment de voguer dans l'inconscient du cinéaste, dans des décors toujours plus démesurés. Dans cette toile presque surréaliste, le fascisme apparaît vide de sens comme un ballon de baudruche. Au sein de cette Italie étrange, à la fois pleine de promesses et de désillusions, le jeune Titta doit affronter des professeurs d'école tous plus mesquins les uns que les autres. Pour ne pas rester piégé dans la toile de cette société, ne restent plus que les saveurs, les sons et les lumières (scène du paquebot) pour s'échapper. Comme souvent dans le cinéma de Fellini, la fin du film montre une place entièrement vide, où les vestiges d'une présence humaine sonnent comme des objets du passé. Une chose est sûre, dit le cinéaste : plus rien ne sera comme avant. Magistral.
Dans le même genre et du même réalisateur : La Dolce Vita, 1959
Elephant, de Gus Van Sant
Le ciel s'obscurcit, jusqu'à la nuit noire. Quelques temps plus tard, par un matin d'automne dans l'Oregon, une voiture zigzague dans une rue jalonnée d'arbres. Cette dernière percute un véhicule garé sur le bas côté, freine soudainement pour esquiver un cycliste et finit sa course en heurtant un trottoir. John, un adolescent aux cheveux décolorés et vêtu d'un t-shirt jaune sur lequel figure un taureau noir, prend les clefs de la voiture et s'installe au volant. Son père conduisait visiblement sous l'emprise de l'alcool. L'on suit bientôt les élèves d'un lycée américain typique au gré de leurs occupations. Parmi eux, deux souffre-douleurs préparent une fusillade…
Drame de l'adolescence. Avec Elephant, le réalisateur Gus Van Sant n'a non pas souhaité mettre en scène ce qui s'était réellement passé au cours de la fusillade de Columbine ni détailler les motivations des deux tueurs. Il s'agit avant tout d'une œuvre dramatique s'inspirant du contexte de cet évènement. A un moment donné dans Elephant, on voit Alex suivre un cours de physique portant sur les atomes. On peut considérer que cet élément est un indice pour mieux appréhender la logique du film. Ce dernier peut en effet s'apparenter à un atome, avec le lycée au centre, les étudiants en tant qu'électrons proches du noyau central, et enfin les tueurs Eric et Alex comme les électrons libres. Cette image de l'atome permet par ailleurs de mieux comprendre la dimension formelle du film, faite de répétitions, de croisements, de ralentis et d'accélérés. Mais Elephant est également un film cosmique à la portée presque métaphysique. Dès le début du film, le ciel noir est là pour nous avertir. Lorsqu'Éric et Alex s'apprêtent à commettre leurs crimes, un orage éclate. Et tandis qu'ils arrivent au lycée, Gus Van Sant prend bien le temps de filmer le sol encore trempé par les intempéries. Rien n'est ici anodin. Récompensé à Cannes en 2003 par une Palme d'Or accompagnée du prix de la mise en scène, cette œuvre terrifiante est d'une beauté sidérante. Un tableau de l'adolescence d'une grande puissance.
A noter que le titre Elephant est une référence explicite au moyen métrage éponyme réalisé par Alan Clarke en 1989. Ce dernier mettait en scène la violence sectaire en Irlande du Nord entre catholiques et protestants.
Dans le même genre et du même réalisateur : My Own Private Idaho, 1991 ; Will Hunting, 1997 ; Gerry, 2002 ; Last Days, 2005 ; Paranoid Park, 2007.
Blow Up, de Michelangelo Antonioni
Thomas, un jeune photographe de mode, se rend dans un parc de Londres pour prendre des photos. Un couple qui s'embrasse attire bientôt son attention et il réalise quelques clichés. La jeune femme le remarque et s'avance vers lui pour lui réclamer les négatifs. Elle va même, plus tard, jusqu'à lui proposer de s'offrir à lui pour les obtenir. Thomas lui fournit une autre pellicule et part dans son labo pour développer les photos du parc. En agrandissant les clichés, il décèle un crime à l'arrière plan. La nuit suivante, il retourne sur les lieux et découvre un cadavre…
Drame psychologique. Au-delà de son intrigue simili policière à la fois étrange et fascinante, Blow Up est le récit du parcours initiatique de Thomas. Au début du film, ce dernier pense avoir tout saisi du monde qui l'entoure. La réalité s'offrirait donc toute entière à lui, sans besoin aucun d'un déchiffrement. Ses photos de mode en seraient d'ailleurs la preuve irréfutable (photos des clochards, etc.). Mais voilà, un jour, alors qu'il vient de développer une série de photos, il remarque quelque chose d'inattendu : à l'arrière plan, un jeune homme braque une arme sur quelqu'un. Ce surgissement du réel lui fait redécouvrir que le monde n'est pas forcément tel qu'il semble être. Depuis son studio de photo, il est incapable de maîtriser la réalité. Même s'il ne cesse de se moquer de son ami peintre et de ses "gribouillages", Thomas sait pourtant que ce dernier a un avantage important par rapport à lui : il laisse survenir la réalité et reste ouvert au mystère, à l'inexplicable. Extraordinairement beau, inquiétant et brillant, Blow Up est une expérience incontournable et l'un des meilleurs films de Michelangelo Antonioni.
Lors de la séquence de poursuite finale, Thomas traverse une salle de concert dans laquelle joue les Yardbirds, le groupe culte alors composé par les guitaristes Jimmy Page, Jeff Beck et Eric Clapton. Michelangelo Antonioni avait d'abord pensé aux Who et aux Velvet Underground pour cette scène. À noter, enfin, que la bande originale de Blow Up est signée par le compositeur de jazz et pianiste Herbie Hancock.
Dans le même genre et du même réalisateur : Profession Reporter, 1974
Une Femme sous Influence, de John Cassavetes
Contremaître sur un chantier, Nick est accablé par le travail. Tant et si bien qu'il ne peut pas rentrer chez lui pour la nuit. Pendant ce temps, Mabel, son épouse, a déposé ses enfants chez sa mère. Déprimée, elle se saoule et accueille chez elle, dans un état d'ébriété avancé, un autre homme. Le lendemain matin, Nick et son équipe débarquent. Mabel leur prépare des spaghettis et essaye d'être agréable avec tout le monde. Mais le repas tourne à la scène de ménage. Quelques temps plus tard, Mabel organise une petite fête pour ses enfants et quelques-uns de leurs amis. Mais son excentricité ne fait pas l'unanimité auprès du voisinage et le goûter se transforme en rixe entre Nick et un voisin mécontent. Mabel, dont les crises se font de plus en plus vives, est bientôt internée dans un hôpital psychiatrique…
Drame psychologique. Dans Une Femme sous Influence, John Cassavetes ne tourne pas des plans dans l'optique d'illustrer une histoire. Ces derniers lui servent plutôt à explorer avec force et intensité les rapports de couple déstructurés entre un homme et une femme. Ici, ni morale ni construction érudite, mais la recherche d'une vérité capricieuse car instable. La grande force de Cassavetes (et de l'actrice Gena Rowlands) est d'être parvenu à donner corps à un personnage plus vrai que nature. Mabel est impulsive, dépourvue de toute inhibition et psychologiquement fragile. Elle semble à la recherche d'une affection chez tout un chacun et provoque souvent inconsciemment la gêne chez les personnes qu'elle ne connaît pas. Sans tomber dans une approche misérabiliste, le spectateur est lui aussi à la fois gêné par cette femme, mais aussi attaché. Tout le suspense de Une Femme sous Influence s'appuie sur le fait qu'il nous est impossible de prévoir à l'avance de quelle façon va évoluer l'intrigue. Tout peut basculer à un moment ou un autre. Cet aspect est aussi insondable que le personnage de Mabel. Cette expérience cinématographique est, sur le plan psychologique, l'une des plus éprouvantes de toute l'histoire du cinéma. Heureusement, Nick et Mabel réussiront à retrouver leur couple.
Dans le même genre et du même réalisateur : Opening Night, 1978
Le Mépris, de Jean-Luc Godard
Camille Javal, une jeune et très belle femme de 27 ans, vit à Rome avec son époux Paul Javal depuis leur mariage il y a quelques années. Ce dernier, un écrivain de 35 ans, a parfois travaillé pour le cinéma. Il a récemment été engagé pour réécrire le scénario de "L'Odyssée", un film que tourne Fritz Lang aux studios de Cinecitta. Mais bientôt, l'odyssée de Camille et Paul est perturbée par l'arrivée de Jérémie Prokosch, un producteur de films maladif, coléreux et sarcastique. Pour attirer l'attention de ce dernier, Paul laisse monter Camille dans sa voiture. Mari et femme échangent un regard : le drame vient de se nouer.
Drame sentimental. Avec Le Mépris, Jean-Luc Godard étire sur une heure et demie un instant qui se déroule en réalité en une fraction de seconde. Un seul échange de regard suffit à faire basculer l'histoire du couple formé par Camille et Paul. Contrairement au cinéma classique qui s'attache à mettre en scène l'histoire tumultueuse et complexe d'un couple sur le long terme (des mois, des années), Le Mépris donne à voir ce petit détail qui pendant un dixième de seconde a tout fait basculer. Comme le dira lui-même Jean-Luc Godard : "Le Mépris est un film simple et sans mystère, film aristotélicien débarrassé des apparences. Il prouve en 149 plans que, dans le cinéma comme dans la vie, il n'y a rien de secret, rien à élucider, il n'y à qu'à vivre et à filmer". Au bout du compte, Le Mépris ne fait que décrire l'émergence d'un sentiment : le mépris. Mais il le fait de la plus belle des manières.
Dans le même genre et du même réalisateur : Pierrot le Fou, 1965
La Femme d'à côté, de François Truffaut
Dans leur petit pavillon de la banlieue grenobloise, Bernard et Arlette Coudray mènent une vie tranquille et heureuse. Et ce n'est certainement pas l'arrivée de leurs nouveaux voisins, Philippe et Mathilde Bauchard, dans la maison d'à côté qui devrait changer la donne. Seulement voilà : il y a sept ans, Bernard et Mathilde se sont éperdument aimés…
Drame sentimental. La Femme d'à côté est une histoire d'amour moderne. Alors qu'ils pensaient chacun de leur côté avoir exorcisé leurs présences respectives, voilà que Bernard et Mathilde se retrouvent comme projetés dans leur passé. La force archaïque de la passion est telle qu'il est impossible de réprimer ses sentiments. Pourtant, il y a des années, Mathilde avait voulu mourir en se projetant dans le vide pour conjurer cette histoire malheureuse. Mais cette fois-ci, le désordre passionnel met en jeu l'ordre social présent dans chacun des couples. Le passé tragique vient contaminer le présent. Encore une fois, l'amour et la haine de la femme se conjuguent sous la caméra du cinéaste. Que dire des superbes prestations de Gérard Depardieu et de Fanny Ardant ? La Femme d'à côté est un des grands films de François Truffaut.
Dans le même genre et du même réalisateur : Jules et Jim, 1962 ; La Sirène du Mississipi, 1968 ; Le Dernier Métro, 1980.
Mean Streets, de Martin Scorsese
On se sent tout de suite dépaysé en entrant dans le quartier de Little Italy à New York, ce lieu si particulier où de nombreux immigrés italiens se sont installés. Il faut dire que l'endroit est pittoresque : les pizzerias et trattorias pullulent, les juke-boxes balancent des sons où s'entrecroisent les tubes des Rolling Stones, d'Eric Clapton, mais également de Renato Carosone et de Giuseppe di Stefano. Mais à y regarder de plus prêt, on trouve aussi quelques bars mal famés et des rues sales et sordides où les délinquants règnent en maître. Dans ce contexte, Johnny Boy et Charlie vont tenter de se faire une place parmi les mafieux…
Drame épique. Fils d'immigré italien, Martin Scorsese se souvient encore comme si c'était hier de sa jeunesse dans le quartier de Little Italy. Il en garde même une certaine nostalgie qu'il n'aura de cesse de faire partager au travers de ses mises en scène. Mais contrairement aux héros qui peuplent ses films, Marty a toujours été du genre à prendre la fuite une fois le danger venu. Dans Mean Streets, le cinéaste décrit l'ascension tragique de deux amis : Johnny Boy (Robert De Niro), un jeune homme inconscient et impulsif et Charlie (Harvey Keitel), un homme tourmenté et obsédé par la notion religieuse du mal. Dans cette optique, ce dernier va tenter de protéger Johnny Boy de lui-même. Mais les choses ne sont pas si faciles. Sans doute peut-on voir dans le personnage de Charlie une projection de Martin Scorsese, qui dès le début de sa carrière s'est attaché à distiller le thème de la souffrance christique. On retrouve bien entendu la passion du cinéaste pour la musique rock, tout comme sa fascination pour la violence, qui frappe souvent comme un souffle divin. Avec Taxi Driver, il s'agit du meilleur long métrage de Scorsese issu de la première partie de sa carrière.
Dans le même genre et du même réalisateur : Taxi Driver, 1976
Dogville, de Lars Von Trier
D'abord un carton : le récit qui va suivre contient un prologue et neuf chapitres. Sur un immense parquet noir, sont tracées des marques à la peinture qui symbolisent le plan d'un hameau nommé Dogville. On distingue le nom des rues, mais aussi le plan de chaque maison. Quelques accessoires sont là néanmoins pour figurer certains détails : un cadre de porte, une chaise, un lit, une radio, et plus loin une cloche. Survolant ce genre de jeu de Cluedo grandeur nature, une voix off nous raconte en quelques mots l'histoire de Dogville. Dans ce véritable cul-de-sac perdu dans les Rocheuses, résident quinze habitants adultes et sept enfants. Un soir, plusieurs coups de feu se font entendre. Une belle jeune femme blonde du nom de Grace fait bientôt irruption dans Dogville. Elle serait poursuivie par des gangsters. Afin de prouver leur hospitalité, les habitants décident de l'accueillir…
Drame épique. Dès le premier plan de Dogville, dans le ciel, on ne peut s'empêcher de penser au dernier plan de Breaking the Waves (Lars Von Trier, 1996), où des cloches résonnaient dans les nuages pour sanctifier le sacrifice de l'héroïne principale. Pas étonnant, toutefois, étant donné que Lars Von Trier a réalisé ce film pour rendre hommage à l'actrice principale de Breaking the Waves, décédée un an plus tôt. Encore une fois, le cinéaste met en scène une sorte de fable, de légende sur l'humanité. C'est d'ailleurs lui-même qui le confie : Dogville s'inspire en partie de la pièce L'Opera de quat'sous, de Bertolt Brecht. La critique contre la communauté américaine est ici d'une rare férocité. Le hameau de Dogville apparaît aussi corrompu que les villes l'environnant : le vice n'épargne personne. Dans la même veine que Il était une fois en Amérique (Sergio Leone) ou encore Gangs of New York (Martin Scorsese), la construction de l'Amérique repose sur des fondations fissurées à leur base. On remarquera que, même en l'absence de véritable décor, la réalisation est à tomber : chacun des lieux n'a jamais été aussi bien "vu" que lorsqu'il est signalé par son symbole matériel (la cloche pour l'église, etc.). Un drame épique profondément insoutenable et infiniment majestueux.
Dans le même genre et du même réalisateur : Manderlay, 2004
La Rue de la Honte, de Kenji Mizoguchi
Les pouvoirs publics japonais viennent de lancer un débat au Parlement concernant l'interdiction de la prostitution. Pendant ce temps, à Tokyo, dans une maison close située dans Yoshiwara, le quartier des plaisirs, quelques prostituées mènent une vie tempétueuse. Parmi elles, Mickey, une jeune femme très occidentalisée, qui cherche à échapper à ses parents et à oublier une histoire d'amour malheureuse avec un G.I. américain. Mais contrairement à cette dernière, ses compagnes vendent leur corps pour des raisons plus explicites : la jeune et jolie Yasuni veut accumuler une grosse somme d'argent le plus vite possible pour sortir son père de prison ; Hanae a besoin d'argent pour acquérir des médicaments pour son époux souffrant et nourrir son enfant ; Yumeko veut permettre à son fils d'étudier dans l'une des meilleures écoles privées et Yori souhaite épargner pour son futur mariage. Pour plusieurs d'entre elles, les choses vont mal tourner…
Drame social. Contrairement à ce que l'on aurait pu d'abord penser, Mickey est la plus consciente et la plus lucide des pensionnaires de la maison close (appelée "rêve"). Au lieu de se dissimuler sous le voile de l'illusion et du mensonge, elle ne perd pas de vue la vérité et comprend pleinement les lois constitutives de la société dans laquelle elle évolue. Dans ce monde, chaque individualité ne peut être autre chose qu'un objet de jouissance au profit d'un autre. Toutefois, elle tente de réprimer la douleur de l'échec de sa vie personnelle. On notera que, comme toujours chez le maître, les individus apparaissent broyés par la société. Au-delà de la critique politique, c'est ici la tragédie qui prime. Somptueux et sombre, ce drame social est la dernière oeuvre de Kenji Mizoguchi, mais aussi l'une des plus abouties. Les images sont tout simplement renversantes.
Dans le même genre et du même réalisateur : Flamme de mon amour, 1949
Still Life, de Jia Zhangke
Dans la ville de Fengjie en Chine, à quelques pas en amont du barrage des Trois-Gorges, San Ming est à la recherche de Mâ, une petite fille qui vivait là il y a environ vingt ans. Mais désormais, l'immeuble dans lequel elle habitait n'est plus qu'une tâche verte indistincte avalée sous les eaux du barrage des Trois-Gorges. Le guide qui a conduit San jusqu'à Fengjie lui propose d'aller se renseigner auprès des autorités locales, mais les ordinateurs ne fonctionnent pas. Bientôt, le jeune homme prend une chambre chez l'habitant, où il apprend que Mâ, l'aîné, possède un bateau au bord du fleuve…
Drame social. Avec son titre à la fois simple et presque poétique, Still Life met en scène la transformation de la Chine ancestrale en une entité où le capitalisme chinois est roi. Le réalisateur Jia Zhang-Ke perpétue ainsi un thème qu'il avait déjà traité dans son film précédent (The World, 2004). La métamorphose du monde n'a jamais été aussi tangible que lorsqu'elle est mise en image à travers le destin d'individus qui ont encore l'espoir d'un monde meilleur. Le regard du metteur en scène Jia Zhang-Ke sur la Chine moderne est ambivalent, comme le soulignent les nombreuses "natures-mortes" disséminées ça et là (ex : gros plan sur la cigarette, le sachet de thé dans un placard abandonné, etc.). Ces symboles entre la vie et la mort sont là pour représenter un univers dont la tournure est incertaine. Sobre et lyrique, Still Life est un des grands films de l'histoire du cinéma et confirme que Jia Zhang-Ke est un immense metteur en scène.
Dans le même genre et du même réalisateur : The World, 2004 ; 24 City, 2008
Mais aussi…
- La Règle du Jeu, de Jean Renoir, 1939
- Allemagne Année Zéro, de Roberto Rossellini, 1948
- Los Olvidados, de Luis Buñuel, 1950
- La Complainte du Sentier, de Satyajit Ray, 1955
- L'Année Dernière à Marienbad, d'Alain Resnais, 1961
- Kes, de Ken Loach, 1969
- Deep End, de Jerzy Skolimowski, 1970
- Family Life, de Ken Loach, 1972
- Fanny et Alexandre, d'Ingmar Bergman, 1982
- A nos amours, de Maurice Pialat, 1983
- De Bruit et de Fureur, de Jean-Claude Brisseau, 1988
- Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick, 1999
- Virgin Suicides, de Sofia Coppola, 2000
- Gangs of New York, de Martin Scorsese, 2002
- La Graine et le Mulet, d'Abdellatif Kechiche, 2007