Le western, "L'Odyssée" à l'américaine
S'il ne fallait retenir qu'un seul genre cinématographique pour symboliser l'idéal de conquête américain, il ne pourrait s'agir que du western. On retrouve invariablement la même recette dans ce type de cinéma : un héros vertueux, des chevauchées, des affrontements, une jeune fille à la fois pure et courageuse qui tombe dans les bras du héros, un danger incarné soit par les malfrats, soit par les indiens, soit par la guerre. Et en guise de terrain de jeu : un paysage désertique d'une dangereuse austérité.
On trouve plusieurs séquences distinctes dans l'histoire du western au cinéma : la période des origines, marquée par des films comme L'attaque du grand rapide et La Ruée vers l'Or ; celle de l'apogée, avec La Poursuite Infernale et La Rivière Rouge ; celle du western moderne, avec La Prisonnière du Désert ; celle du western italien, avec Il était une fois dans l'ouest, et enfin celle du western contemporain, avec entre autres Impitoyable et La Porte du Paradis. À chaque période sa spécificité. Voici notre sélection des meilleurs westerns de l'histoire du cinéma.
La Ruée vers l'Or, de Charles Chaplin
Klondike, nord-ouest du Canada, 1898. Charlie, un chercheur d'or, est pris dans une tempête de neige. Il se retrouve bientôt dans la cabane du terrible Black Larsen, un bandit recherché activement par les forces de l'ordre. L'arrivée de Jim, propriétaire d'une mine d'or très riche, permet d'adoucir la situation. Bientôt, les trois hommes sont contraints de chasser l'ours pour éviter de mourir de faim. Alors qu'ils viennent de partir chacun de leur côté tenter leur chance, Jim est assommé par Black Larsen et perd la mémoire. Le bandit en profite pour s'emparer de sa mine.
Touchant, somptueusement réalisé et magnifié par des cartons intercalaires (cartons de dialogue) brillamment laconiques, La Ruée vers l'Or est l'un des grands chefs d'œuvre signés Charles Chaplin. On raconte que le cinéaste était si perfectionniste durant le tournage du film qu'il alla notamment jusqu'à tourner plus de soixante fois la même scène pour parvenir au résultat escompté. Ce fut par exemple le cas de la séquence où Chaplin et Big Jim avalent une semelle de chaussure (en réalité composée de réglisse). À noter, enfin, que La Ruée vers l'Or, et ce malgré sa critique virulente du rêve américain (surtout dans la version originale de 1925), contient l'un des seuls véritables happy-end de la filmographie de Charles Chaplin. Mention spéciale pour la version muette de 1925, qui n'avait alors pas encore fait l'objet de l'autocensure de Chaplin (1942).
La Poursuite Infernale, de John Ford
Tombstone, 1882. Les quatre frères Earp avancent avec leur troupeau de bétail en direction de la Californie pour le vendre. Alors que James, le cadet, est chargé de surveiller les bêtes au campement, Wyatt, Morgan et Virgil se dirigent vers la ville voisine, où règne tumulte et fureur. À leur retour, le troupeau a disparu et James gît sur le sol, assassiné. Soudainement accablé par la vengeance et la haine, Wyatt décide d'accepter le poste de shérif qu'on lui propose à Tombstone. Ses deux frères deviennent bientôt ses adjoints…
Comme de nombreux westerns, parmi lesquels on compte notamment L'Homme qui tua Liberty Valance, La Poursuite Infernale souligne le passage de la nature, souvent hostile et sauvage, à la civilisation. La première est symbolisée par les paysages somptueux de Monument Valley, tandis que la seconde est assimilée à la ville de Tombstone, où l'on sent une Amérique en pleine métamorphose. Même chose du côté des personnages, qui montrent petit à petit leurs vrais visages et illustrent la mutation des Etats-Unis. Les séquences violentes contrastent avec les plans, tous plus lyriques les uns que les autres.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- La Chevauchée Fantastique, 1939 ;
- La Prisonnière du désert, 1956 ;
- L'Homme qui tua Liberty Valance, 1961 ;
- Les Deux Cavaliers, 1961.
La Vallée de la Peur, de Raoul Walsh
Fin du XIXème siècle, Mexique. Thorley, une femme, se rend à cheval dans un vieux ranch délabré pour apporter de la nourriture à Jeb Rand, un homme qui tente d'échapper à une patrouille. Cet endroit perché à quelques pas de la Butte des Ours, Jeb l'a choisi car il lui rappelle un lointain souvenir, une vision qu'il avait eue alors qu'il n'était qu'un enfant. Dans cette vision, des bottes et des éperons font grincer le parquet au niveau de son visage et une femme l'agrippe soudain pour l'emmener…
Entre poème et western psychanalytique, La Vallée de la Peur est une œuvre unique en son genre. On y suit la trajectoire d'un personnage sombre (Robert Mitchum) aux prises des griffes de son passé. Contrairement aux westerns habituels, les ennemis ne sont pas seulement composés de chair et de sang. Les héros de l'intrigue doivent en effet également échapper à leurs propres démons : cauchemars, rêves et obsessions. En sus de la musique glaçante écrite par Max Steiner (Casablanca, Autant en emporte le vent), la photographie de James Wong Howe, avec ses ciels noirs, ses rochers et ses clairs-obscurs, fait passer la plastique des plus beaux films de Dreyer pour un croquis de débutant. Du grand art.
Dans le même genre et du même réalisateur : La Fille du Désert, 1949
La Rivière Rouge, d'Howard Hawks
1851. Installé dans un convoi avec sa compagne, Tom Dunson décide de s'éloigner avec son ami Groot pour une randonnée vers le Texas. Préférant laisser sa fiancée avec le convoi pour lui éviter les dangers du périple, il lui dit au revoir. Quelques instants plus tard, alors que les deux hommes commencent à s'éloigner, le convoi est pris d'assaut par une horde d'indiens. Tom et Groot sont bientôt attaqués à leur tour mais parviennent à s'en sortir avant de recueillir un adolescent rescapé nommé Matt. Après avoir trouvé le bracelet qu'il avait offert à sa fiancée au bras d'un indien, Tom comprend qu'il a tout perdu. Finalement arrivé sur ses terres au bord de la Rivière Rouge, il se fait la promesse de réunir le plus beau troupeau du Texas…
Premier western réalisé par Howard Hawks, La Rivière Rouge repose sur la complexité d'un personnage insondable interprété par John Wayne. À la fois obstiné, autoritaire et instable, ce dernier offre au film un suspense moral des plus intenses. Cette ambiguïté du personnage de Tom Dunson fait de La Rivière Rouge un film des plus modernes. Paradoxalement, les images apparaissent très classiques. Tous les plans de ce chef d'œuvre sont néanmoins dotés d'une photographie exemplaire. À noter le parfait équilibre entre les séquences de nuit et de jour.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- La Captive aux yeux clairs, 1952 ;
- Rio Bravo, 1959 ;
- El Dorado, 1967.
Je suis un Aventurier, d'Anthony Mann
1896. Jeff Webster, un cow-boy aventurier et individualiste, arrive à Seattle pour rejoindre son ami et coéquipier Ben Tatem, chargé de garder leur troupeau commun. Tandis qu'ils se rendent en bateau à Skagway en Alaska, Jeff est contraint d'abattre deux individus en chemin. Lui et son compagnon Ben Tatem sont alors pris en chasse par les forces de l'ordre. Mais ils parviennent à se cacher de justesse chez la belle Ronda Castle. A Skagway, Jeff empêche une pendaison organisée par le vil Gannon. Ce dernier réquisitionne alors aussitôt le troupeau de Jeff…
On retrouve là presque tous les archétypes du western dans ce brillant long métrage : le héros solitaire, l'ami dévoué mais trop fragile, le convoi de bétail, la recherche de l'or, la femme éprouvée, le juge véreux et bien entendu les règlements de compte. Comme souvent chez Anthony Mann, les héros du passé ne peuvent qu'assister, désarmés, à l'irruption de la violence (celle du juge et de l'homme au visage balafré, entre autres). Tout ça donne le sentiment de vivre un grand moment de cinéma. Mention spéciale pour les paysages enneigés des rocheuses, à tomber.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- Les Affameurs, 1952 ;
- L'Homme de la Plaine, 1955 ;
- L'Homme de l'Ouest, 1958.
Il était une fois dans l'Ouest, de Sergio Leone
Quelque part dans le Grand Ouest, non loin de Glagstone, trois hommes prêts à dégainer pourvus de longs manteaux cache-poussière et dotés de chapeaux à larges bords guettent l'arrivée d'un voyageur. Contre toute attente, ils sont abattus brusquement par leur propre cible, un homme sans nom surnommé L'Harmonica. Pour venger la mort de son frère, ce dernier commence bientôt à rechercher un tueur à gages nommé Franck.
Gouverné par le sadisme et la vengeance, Il était une fois dans l'Ouest est un des grands chefs d'œuvre du western italien. Comme le fera Quentin Tarantino quelques décennies plus tard en grand admirateur de Sergio Leone, toutes les effusions de violence sont précédées par une longue séquence presque vide étirée au maximum. Dans la première partie du film notamment, le minimalisme des sons et des images est exemplaire. Pour créer une tension, le réalisateur met simplement en scène une poule, une girouette, une mouche, des bourrasques et quelques gouttes d'eau. A cela s'ajoute l'incroyable musique d'Ennio Morricone. Le résultat est tout bonnement prodigieux.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- Pour une poignée de dollars, 1964 ;
- Et pour quelques dollars de plus, 1965 ;
- Le Bon, la Brute et le Truand, 1966 ;
- Il était une fois la révolution, 1971.
La Horde Sauvage, de Sam Peckinpah
Etats-Unis, 1913. Déguisés en soldat, Pike Bishop et sa bande font irruption dans la petite ville de San Rafael, à la frontière du Texas. Ils parviennent bientôt à s'emparer de la paye des ouvriers du chemin de fer. Mais Deke Thronton, un ex coéquipier de Pike au courant du braquage, tend un piège au groupe. Démarre une fusillade sanglante au cours de laquelle de nombreux civils perdent la vie.
Western crépusculaire par excellence, La Horde Sauvage dépeint un monde sans foi ni loi. L'humanisme semble avoir tellement reculé que c'est désormais la puissance des machines (train, mitrailleuses, etc.) qui tient lieu et place de morale. Pas de place pour les héros, donc, dans cet univers sanglant. La première séquence, ô combien symbolique, aurait du nous y préparer : les enfants enflamment en riant un piège en bois contenant des fourmis (héros) et des scorpions (malfrats). La Horde Sauvage, ou la mise en scène d'un univers sur le point de se consumer par lui-même. Mention spéciale pour le montage rapide, les ralentis et les arrêts sur image, superbes.
Dans le même genre et du même réalisateur : Pat Garrett et Billy the Kid, 1973.
El Topo, d'Alejandro Jodorowsky
Pour l'amour d'une femme, un pistolero hors-la-loi accepte d'affronter les quatre maîtres du désert. Un long parcours initiatique s'offre alors bientôt à lui.
Film emblématique de la contre-culture des années 1970, El Topo est une œuvre étrange bercée par une atmosphère peu commune. Réalisé par l'inventif Alejandro Jodorowsky, élève du mime Marceau, El Topo est construit à la manière d'une bande dessinée : au même titre que les cases d'une BD, chaque plan peut en effet faire l'objet d'une interprétation indépendante. Une chose rare au cinéma. Avec sa réalisation surprenante (souvent en plongée et contre-plongée), ses personnages loufoques et son imaginaire cohérent, El Topo est un film unique en son genre.
La Porte du Paradis, de Michael Cimino
Collège de Harvard, 1870. James et Billy, deux jeunes hommes brillants, assistent à la fête de remise des diplômes. Ils rêvent tous deux d'un bel avenir dédié à l'amélioration du monde. De 1870 à 1903, l'on suit le personnage de James, un témoin impuissant et nostalgique de la fin du XIXème siècle, à travers ses amours, ses échecs, mais aussi dans la douleur de la guerre.
Fresque grandiose, La Porte du Paradis est une œuvre qui ouvre plusieurs champs d'analyse. On pourrait en effet la considérer comme le récit de la naissance d'une nation vue au travers d'un personnage : James Averill. Mais il ne s'agit pas seulement de ça. D'ailleurs, le metteur en scène Michael Cimino a pris un certain nombre de libertés d'un point de vue historique, ce qui nous permet de nous focaliser davantage sur le "héros" du film. Progressivement, celui-ci est hanté par le regret et le deuil. Il s'agit donc également d'une méditation sur la difficulté d'être et sur le passage du temps. D'un lyrisme rare, ce western qui signe la fin du Grand Ouest et l'aube d'un monde nouveau, a été terriblement mal accueilli à sa sortie et a notamment contribué à la faillite du célèbre studio United Artists. Il s'agit pourtant d'un des plus beaux films de l'histoire du cinéma.
Impitoyable, de Clint Eastwood
Wyoming, 1880. Deux jeunes cow-boys éméchés blessent atrocement au visage une jeune prostituée après une relation sexuelle ayant mal tourné. Arrivé sur les lieux, le shérif Little Big Dagget laisse les deux hommes s'enfuir moyennant une simple amende, qu'il tend aussitôt au propriétaire du saloon. Submergées par la rancune et face à cette injustice, les filles de joie offrent 1000 dollars à qui abattra les deux malfaiteurs…
Grand classique du sous-genre "rape & revenge", Impitoyable reprend l'un des thèmes les plus chers du réalisateur Clint Eastwood : la justice biblique. Comme dans ses précédents films L'Homme des Hautes Plaines, L'Inspecteur Harry ou encore Pale Rider, le cavalier solitaire, Impitoyable met en scène une sorte de vengeance divine. En d'autres termes : les défenseurs du déni de justice y sont rattrapés à un moment ou un autre par une sorte de souffle de dieu. À noter à ce titre que le "héros" Munny (Clint Eastwood) semble faire l'objet d'une protection mi-divine mi-diabolique contre les balles, qui jamais ne l'atteignent. Toutefois, à la différence de l'inspecteur Harry, arrogant et impassible, Munny apparaît beaucoup plus blessé au fond de lui-même. C'est sans aucun doute ce qui rend Impitoyable bien plus supportable. Avec sa mise en scène à la John Ford et son scénario brillant, cette œuvre fait partie des immanquables.
Dans le même genre et du même réalisateur :
- L'Homme des Hautes Plaines, 1973 ;
- Pale Rider, le cavalier solitaire, 1985.
True Grit, de Joel & Ethan Coen
Mattie Ross, 14 ans, brûle d'impatience à l'idée de rendre justice à son père, abattu lâchement par le méprisable Tom Chaney. Après être parvenue à soutirer 300 dollars à un vendeur de poneys, elle engage pour 50 dollars Rooster Cogburn, un marshall alcoolique à la gâchette facile. Ils s'apprêtent à poursuivre Chaney jusqu'à la bande de Ned Pepper, en territoire indien.
La vengeance est décidément l'un des sujets centraux du western. En sus d'un spectacle de qualité, True Grit offre une expérience à la fois sérieuse et décontractée, dans la plus pure tradition du cinéma des frères Coen. Ceci étant, hormis des scènes d'action plus violentes et des traits de caractère un peu plus soulignés, on retrouve assez fidèlement le True Grit (en France : Cent dollars pour un shérif) réalisé par Henry Hataway en 1969. Pas étonnant lorsque l'on sait que ces deux films sont tous les deux tirés d'un roman éponyme écrit par le journaliste américain Charles Portis en 1968. Avec sa réalisation efficace et son casting de rêve, True Grit est l'un des rares westerns contemporains à saisir aussi brillamment l'essence du mal de l'Ouest.
Mais aussi…
- Dead Man, de Jim Jarmusch, 1995
- Danse avec les Loups, de Kevin Costner, 1990
- Jeremiah Johnson, de Sydney Pollack, 1972
- Blindman, le justicier aveugle, de Fernando Baldi, 1971
- John McCabe, de Robert Altman, 1971
- Little Big Man, d'Arthur Penn, 1970
- The Shooting, de Monte Hellman, 1966
- Johnny Guitare, de Nicholas Ray, 1955
- La Rivière sans retour, d'Otto Preminger, 1954
- Vera Cruz, de Robert Aldrich, 1954
- L'Ange des Maudits, de Fritz Lang, 1952
- Duel au Soleil, de King Vidor, 1946
- Pacific Express, de Cecil B. De Mille, 1939
- L'Attaque du Grand Rapide, d'Edwin S. Porter, 1903