La route comme catharsis...
Le road movie est un genre cinématographique dans lequel la route fait office de fil conducteur tout au long du scénario. Si l'on considère souvent Easy Rider (1969) comme le premier road movie, le terme n'est quant à lui apparu qu'à partir de la sortie du film Cinq pièces faciles (1971).
Mais on retrouvait déjà ce type de procédé dès les années 1930, avec des longs métrages tels que New-York – Miami (Frank Capra), Le Magicien D'Oz (Victor Fleming) ou encore Les Raisins de la colère (John Ford). Depuis les années 1930 jusqu'à aujourd'hui, voici notre sélection des road-movie les plus incontournables de l'histoire du cinéma.
Easy Rider, de Dennis Hopper
Non loin de Los Angeles, deux jeunes motards, Wyatt et Billy, viennent de vendre une importante quantité de drogue. Avec les bénéfices, ils décident de partir en moto pour assister au Carnaval de la Nouvelle Orléans. Sur le chemin, ils passent quelque temps au sein d'une communauté hippie puis sont quelques jours plus tard mis en prison pour avoir participé illégalement à un défilé. C'est là qu'ils font la rencontre de Georges Hanson. Bientôt, ils découvrent tous les trois la dure réalité de l'Amérique profonde, raciste et conservatrice…
Porte étendard de la contre culture et de toute une génération, Easy Rider fit en son temps figure de mythe au même titre que John Lennon. Aujourd'hui encore, il symbolise l'avènement de l'underground au même rang que les productions purement hollywoodiennes. Pour son premier film et premier rôle d'importance, l'acteur-réalisateur Dennis Hopper marqua les esprits. Avec son montage inventif rappelant le néoréalisme italien et sa bande originale culte, Easy Rider est incontournable.
A partir de 12 ans.
Dans le même genre : The Trip, de Roger Corman, 1967
Cinq pièces faciles, de Bob Rafelson
Bobby Dupea, un foreur pétrolier, part sur la côte Ouest pour se réconcilier avec son père mourant.
Injustement méconnu, Cinq pièces faciles est d'une part l'un des meilleurs films du réalisateur Bob Rafelson, mais c'est aussi celui qui a révélé le talent de Jack Nicholson. Par la suite, les deux hommes n'auront d'ailleurs de cesse de retravailler ensemble (dans The King of Marvin Gardens et Le Facteur sonne toujours deux fois, entre autres). Pourtant, difficile d'imaginer plus antihéroïque que le personnage interprété par Nicholson, qui brille par son indifférence. Un superbe rôle, à mille lieux des emplois qui cimenteront par la suite sa célébrité (Vol au-dessus d'un nid de coucou, Shining, Batman, etc.).
Dans le même genre :
- Macadam à deux voies, de Monte Hellman
- Point limite zéro, de Richard C. Sarafian.
Thelma & Louise, de Ridley Scott
Thelma Yvonne Dickinson, la trentaine, n'arrive toujours pas à comprendre ce qui a pu la pousser à épouser Darryl, un macho ridicule. Louise Elizabeth Sawyer, l'une de ses rares amies, parvient à la convaincre de s'échapper pour quelques-jours à la montagne. Loin de l'Arkansas, elles n'ont plus qu'une chose en tête : profiter de ces quelques heures de liberté.
Au carrefour de plusieurs genres, Thelma et Louise n'est pas un film comme les autres. Buddy movie (films de copains), road movie, western, film policier, comédie et même drame : le mélange est subtil. La musique qui berce le voyage des deux héroïnes est une composition d'Hans Zimmer, plus récemment connu pour les mélodies des films Pirates des Caraïbes, Inception ou encore The Dark Knight Rises. Avec sa réalisation époustouflante et surtout cette fameuse Ford Thunderbird de 1966, héros à part entière du film, impossible de passer à côté de ce Thelma & Louise.
Sailor & Lula, de David Lynch
Entre Sailor et Lula, c'est l'amour fou. Mais bientôt, la mère de Lula, Marietta, lance à leur poursuite un gangster du nom de Santos pour empêcher leur liaison. Une cavale ponctuée d'évènements étranges débute alors, afin d'échapper à ces psychopathes.
Tour à tour sanglant, poétique et parfois même sensuel, Sailor & Lula emporte le spectateur dans un univers singulier et presque onirique. Rarement Nicolas Cage aura été aussi habité par un personnage. Le réalisateur David Lynch livre une fois encore un film très personnel et hypnotique. À noter la présence d'Isabella Rossellini, qui avait déjà joué aux côtés du cinéaste dans Blue Velvet. Un voyage aux frontières du réel des plus réussis.
A partir de 12 ans.
Dans le même genre : True Romance, de Tony Scott, 1993
Dans le même genre et du même réalisateur : Une histoire vraie, David Lynch, 1999
Bonnie & Clyde, d'Arthur Penn
Bonnie Parker rencontre Clyde Barrow le jour où ce dernier tente de dérober la voiture de sa mère. Immédiatement fascinée, Bonnie décide bientôt de partir avec lui. Ce nouveau départ l'emporte vers une existence des plus tumultueuses, ponctuée de vols et de braquages de banques…
Film fondateur du mouvement du Nouvel Hollywood, Bonnie & Clyde sidère encore aujourd'hui par sa violence impétueuse. On pense bien sûr à la séquence finale, où les balles, sortant de nulle part, s'abattent avec une fulgurance inouïe, un peu comme dans La Horde Sauvage de Sam Peckinpah. Quant à William Beatty (Clyde Barrow) et Faye Dunaway (Bonnie Parker), ils sont tous deux renversants. Mention spéciale aux cadrages, remarquables.
A partir de 12 ans
Dans le même genre (et tout aussi réussi) : La Balade Sauvage, de Terrence Malick ; L'épouvantail, de Jerry Schatzberg.
Into the Wild, de Sean Penn
Alors qu'il vient tout juste de décrocher son diplôme, Christopher, 22 ans, est promis à un avenir radieux. Mais contre toute attente, le jeune homme décide de partir sur la route et de tout laisser derrière lui. Quittant les champs de blé du Dakota pour les flots agités du Colorado, il va s'installer un temps dans une communauté de hippies. Bientôt, il va réaliser son rêve et s'aventurer jusque dans les étendues sauvages de l'Alaska.
On savait Sean Penn habité par un talent rare (cf. The Indian Runner, 1991 ; The Pledge, 2001) mais on ne s'attendait pas à ce que l'acteur-réalisateur nous emporte à travers un tel voyage. Adapté du roman Voyage au bout de la solitude, écrit par Jon Krakauer et publié en 1996, Into the wild suit l'admirable échappée de Christopher, un grand romantique. Si les images peuvent parfois sembler convenues, proche du romantisme, elles retranscrivent en réalité fidèlement l'idéal du personnage. Dans sa solitude absolue, Christopher va découvrir que le bonheur n'existe en fait que partagé.
Dans le même genre : My Own Private Idaho, Gus Van Sant
Another Day in Paradise, Larry Clark
Mel et Sid, un couple de voleurs toxicomanes, s'attache à Bobbie et Rosie, un couple de jeunes qu'ils viennent de rencontrer sur la route. Rapidement, ils découvrent qu'ils partagent les mêmes centres d'intérêt et décident bientôt de commettre des vols ensemble…
Réalisé par le cinéaste et photographe Larry Clark, notamment connu pour avoir déclenché une polémique avec son exposition de photo au musée d'Art Moderne de Paris fin 2010, Another Day in Paradise n'est pas à mettre entre toutes les mains. Comme souvent chez le réalisateur, on retrouve la mise en évidence du trou noir de l'adolescence, avec toutes les déviances qu'il comporte. James Woods et Mélanie Griffith sont épatants dans leurs rôles.
A partir de 16 ans.
Profession : Reporter, Michelangelo Antonioni
David Locke, un journaliste en perdition, se trouve en Afrique dans un hôtel isolé au milieu du désert. Il découvre un jour son voisin de chambre Robertson étendu sur son lit, mort. Pour échapper à sa morne existence, David décide de s'emparer de l'identité du défunt. Il ne se rend pas encore compte qu'il vient de se mettre dans la peau d'un marchand d'armes. Commence alors un périple dont l'issue semble déjà écrite.
Grand classique dans la filmographie d'Antonioni, Profession : Reporter donne au départ le sentiment de suivre une intrigue policière. Mais ce n'est pas tout : le film se transforme rapidement en une sorte de méditation sur la douleur de vivre, où Jack Nicholson préfère changer d'identité pour échapper à son propre destin. Outre les multiples champs d'analyse (politique, esthétique) ouverts par ce magnifique long métrage, la dimension sensorielle joue un rôle important. Mention spéciale pour la séquence finale, incroyable.
Dans le même genre et du même réalisateur : Zabriskie Point, Michelangelo Antonioni
Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard
Ferdinand Griffon, dit Pierrot le fou, un temps professeur d'espagnol, un temps employé à la télévision, lit à sa fille quelques pages d'un livre consacré à Velasquez. Arrive bientôt Marianne, la baby sitter, qui vient pour garder les enfants. Ferdinand et sa femme se rendent alors dans une réception guindée dans laquelle on entend tout le monde débiter des slogans publicitaires. Après avoir jeté un gâteau sur les invités, Ferdinand retrouve Marianne chez lui et part aussitôt avec elle à l'aventure.
Bien que la dénomination road movie n'était pas encore de mise en 1965, il est possible de considérer Pierrot le fou comme un précurseur du genre. Alors que le spectateur pense être immergé dans une trame policière, cette dernière est vite remplacée par une recherche de l'amour fou et de l'Aventure. On retrouve, comme dans Le Mépris et dans A bout de souffle, cette réflexion sur le couple que tout oppose (Marianne, fougueuse et emportée, Ferdinand, qui ne jure que par la lecture et l'écriture). De nombreuses références à l'art sont présentes dans cette fresque poétique (Velasquez, Samuel Fuller etc.). Du grand Godard, à la fois accessible et romantique.
Dans le même genre : Un monde parfait, de Clint Eastwood
Paris, Texas, Wim Wenders
Seul en plein cœur du désert du Texas, Travis avance, comme poussé par un élan indéfectible. Affaibli par la chaleur et à bout de force, il parvient à rejoindre une pompe à essence isolée, où il perd connaissance. Un médecin découvre bientôt sur lui une carte comportant le numéro de téléphone de son frère, Walt Henderson. Ce dernier arrive aussitôt de Los Angeles. Cela fait quatre ans que Travis n'avait pas donné signe de vie.
Isolé au milieu de nulle part, Travis cherche à reconstruire son identité et sa famille, perdues il y a maintenant des années. C'est la figure archétypale du road movie, où l'on effectue un voyage balisée par une route pour revivre les évènements du passé. Difficile de ne pas penser à la figure du western, où l'espace lui-même fait naître le film. Doté d'une réalisation splendide et d'acteurs magistraux, Paris, Texas est un des meilleurs films de Wim Wenders. Mention spéciale pour la musique, douce et atmosphérique.
Dans le même genre et du même réalisateur : Alice dans les villes, Wim Wenders
Dead Man, Jim Jarmusch
Deuxième moitié du XIXème siècle. Bill Blake, un jeune comptable, se rend aux confins de l'Ouest américain. Il ne le sait pas encore mais il s'apprête à effectuer un voyage initiatique durant lequel il va devenir malgré lui un malfrat. Bientôt, il fait la rencontre de Nobody, un amérindien lettré et banni par les siens. Ce dernier est persuadé que Bill Blake n'est autre que la réincarnation du peintre-poète britannique William Blake…
Tout en noir et blanc et bercé par les compositions d'un certain Neil Young, Dead Man est un voyage initiatique vers la mort réalisé par Jim Jarmusch (Ghost Dog, Broken Flowers, etc.). Outre la géniale interprétation de Johnny Depp, on note également les apparitions de Steve Buscemi ou encore d'Iggy Pop. La plupart des dialogues sont tirés de poèmes de William Blake ou encore de quelques chansons des Doors. Façonnée par le talentueux Robby Müller (Breaking the waves, Dancer in the dark, etc.), la photographie est remarquable.
La Barbe à Papa (Paper Moon), de Peter Bogdanovich
Années 1930, Middle West. Moses Pray, un escroc de bas étage, découvre l'existence de sa fille Addie, 9 ans, à l'enterrement de sa maîtresse. À contre cœur, il accepte de conduire la jeune fille au caractère bien trempé chez une tante pour qu'elle la recueille. C'est le début d'un périple riche en rebondissements.
Film culte aux États-Unis et un peu oublié en France, La Barbe à Papa, plus connu sous le nom de Paper Moon, est un road-movie en forme de "je t'aime, moi non plus", où un homme devient par la force des choses un père. Interprétés par les acteurs Ryan O'Neal et Tatum O'Neal (père et fille dans la vraie vie), les deux personnages principaux sont d'une justesse qui laisse sans voix. L'étincelle de leur amour, qui se cache derrière leur défiance apparente, donne lieu à des séquences à la fois drôles et émouvantes, belles et malheureuses. Afin de donner ce fameux effet de papier vieilli à son film, le réalisateur Peter Bogdanovich (connu pour le film culte La Dernière Séance) a choisi de le tourner en noir et blanc. À noter que son ami d'alors le réalisateur Orson Welles lui conseilla un filtre rouge du plus bel effet. Le résultat est sidérant, sans compter le travail admirable du directeur de la photographie László Kovács (Easy Rider, etc.), qui parvient à mettre en image des plans séquences à la plastique parfaite. Aujourd'hui encore, La Barbe à Papa (1973) n'a pas d'âge. Les dialogues, les mimiques et les rares musiques (au début et à la fin) sont à tomber. Enfin, on ne pourra que rester pantois devant cette magistrale séquence finale, qui nous laisse la larme à l'œil sur la route de l'infini. Par la suite, jamais plus le réalisateur Peter Bogdanovich ne parviendra à mettre en scène une œuvre aussi sublime. Un chef d'œuvre incontournable.
Pour le rôle de Addie, l'actrice Tatum O'Neal remporta l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, à l'âge de 10 ans.
Mais aussi…
- Eldorado, Bouli Lanners, 2008
- À Bord du Darjeeling Limited, de Wes Anderson, 2008
- My Blueberry Nights, Wong Kar Waï, 2007
- Little Miss Sunshine, de Jonathan Dayton & Valerie Faris, 2006
- Broken Flowers, Jim Jarmusch, 2005
- O'Brother, Joel & Ethan Coen, 2000
- Las Vegas Parano, Terry Gilliam, 1998
- The Doom Generation, Gregg Araki, 1995
- Stand By Me, Rob Reiner, 1987
- Les gens de la pluie, Francis Ford Coppola, 1969
- Voyage à deux, Stanley Donen, 1967
- Le Fanfaron, de Dino Risi, 1962
- Les Fraises Sauvages, d'Ingmar Bergman, 1957
- New-York – Miami, de Frank Capra, 1934