Le parapluie, accessoire culte du cinéma
Si la pluie fait partie de ces phénomènes météorologiques auxquels chacun se déroberait volontiers à l'approche de l'été, reste qu'elle détient indiscutablement un pouvoir d'évocation hors pair. Une propension à la métaphore qui de la nostalgie à l'amour en passant par la mélancolie fait depuis toujours le bonheur du septième art et des poètes. Et pour cause : s'il existe bien un univers où le déchainement des éléments, siège des sentiments, n'importune pas, celui-là ne pourrait mieux se traduire qu'à travers le cinéma. À l'heure où des pluies torrentielles réduisent à néant les dernières lueurs d'espoir du tout venant, voilà quelques films où parapluies et trombes d'eau invitent davantage au romantisme et à la rêverie qu'à l'impatience.
Il pleut, il pleut, bergère…
À l'instar du chapeau, des lunettes ou encore du briquet, le parapluie fait partie de ces objets star intimement liés à l'histoire du cinéma. Image d'une élégance quelque peu désuète, cet accessoire – détail bourgeois par excellence aux faux airs de canne de dandys – a longtemps fait le bonheur des cinéastes. Et peu importe qu'il pleuve ou que le soleil brille : le héros est tenu de garder son joujou faire valoir à la main, d'une part dans une optique de caractérisation, mais aussi pour accompagner sa gestuelle (cf. chorégraphies dans Chantons sous la pluie et cabotinage du pingouin dans Batman le défi, etc.).
Quoiqu'il en soit, voici une série de films où parapluie et intempéries jouent un rôle majeur...
Blade Runner
On ne présente plus Blade Runner, chef d'œuvre indétrônable signé Ridley Scott et classique intemporel du cinéma de science-fiction. Vous vous en souvenez probablement : une bonne partie des séquences de ce film culte se déroulent sous une pluie diluvienne. Et pour cause, le bien-être de notre chère planète bleue semble ici depuis fort longtemps avoir été mis en péril par l'hyper développement industriel. Résultat : les rayons du soleil ne sont pour les habitants de la Terre plus qu'un vague souvenir, dissimulés loin derrière de titanesques nuages de pollution.
Trêve de sensiblerie, la pluie dans Blade Runner évoque surtout un mal-être plus profond, une nostalgie, ou plutôt un passé fallacieux noyé dans des torrents de larmes. Dans ce monde en décomposition, les robots humanoïdes sont en effet programmés pour avoir le sentiment d'être une personne comme tout le monde, avec un passé et un avenir. Mais quelques-uns de ces robots (ou réplicants), dont la durée de vie est limitée à 4 ans pour éviter qu'il ne s'humanise, découvrent le pot-aux-roses et prennent alors "conscience" de leur finitude, et par extension de leurs souvenirs conçus de toute pièce.
Dès lors, la pluie – sans oublier les célèbres parapluies néon – s'interprète comme le symbole d'un passé vain et comme l'image d'une douleur à l'automne d'une vie exsangue, qui n'a en fait jamais existé. Ou comment à peine tombées du ciel, les gouttes d'eau se disloquent dans un amas sombre et boueux. Et difficile, pour le spectateur, de rester de marbre devant la séquence finale de Blade Runner, où Rutger Hauer prononce ces quelques mots, tandis que ses larmes se mêlent à la pluie :
"J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C briller dans l'ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir".
Les Gens de la pluie
Résumer Les Gens de la pluie – film relativement méconnu qui permit à Francis Ford Coppola, alors âgé de 30 ans, de se faire repérer par la critique – est une chose assez hasardeuse tant le réalisateur improvise au fil de l'avancée de ce road movie. Pour faire simple, disons que Natalie, une jeune femme qui vient d'apprendre qu'elle est enceinte, s'enfuit à New York et prend en stop un footballeur nommé Killer, devenu handicapé mental suite à une opération chirurgicale.
Dans Les Gens de la pluie, les quelques averses pourraient à elles seules être considérées comme un fil conducteur. Renvoyant à la vie tumultueuse des personnages, ces dernières s'écoulent de façon anarchique. Plongé dans une Amérique inconfortable parsemée de motels vides et autres stations-services peu engageantes, difficile pour le spectateur d'aujourd'hui de ne pas penser à Easy Rider, sorti en salles la même année.
Par l'intermédiaire des personnages de Natalie et Killer, admirables Shriley Knight et James Caan, Coppola rappelle que tout le monde a ses blessures et ses angoisses. Aussi hasardeuse qu'une pluie s'abattant en désordre sur un pare-brise, leur rencontre et leur relation ont quelque chose de stupéfiant. Contre toute attente, Natalie va se lier au simple d'esprit, un peu comme si elle croisait la route de l'enfant qu'elle s'apprête à mettre au monde, devenu adulte.
Les Parapluies de Cherbourg
Qui dit parapluie au cinéma renvoie évidemment aux Parapluies de Cherbourg. À condition d'adhérer à cette révolution musicale où chanter devient tout aussi normal que respirer et battre des paupières – et dont seul Jacques Demy avait le secret –, cette œuvre culte du cinéma Palme d'or au Festival de Cannes 1964 est incontournable. Amateurs de parapluies, vous y trouverez par ailleurs votre compte : rouges (passion), bleus, verts, jaunes (trahison), roses… ces derniers défilent à l'écran en cadence arpentant les pavés mouillés de Cherbourg. Ou comment Jacques Demy réussit en un simple plan séquence de deux minutes – ballet de parapluies filmé en plongée – à mettre en scène tous les enjeux dramatiques de son œuvre, avec des parapluies. Chapeau bas.
Si la pluie a également ici son importance, entre autres évocation de l'attente sans fin de Geneviève, qui espère voir rentrer Guy sain et sauf de la guerre d'Algérie, ce sont évidemment les parapluies qui revêtent cette fois un rôle symbolique. En témoignent ces quatre parapluies noirs (symbolique de la mort) fermant le cortège des parapluies colorés, un clin d'œil à la situation familiale des quatre personnages principaux du film à la fin de l'histoire…
Chantons sous la pluie
Gene Kelly virevoltant gaiement sous une averse dans Chantons sous la pluie, voilà une séquence d'anthologie devenue rien de moins, au fil des décennies, que l'emblème par excellence de la comédie musicale hollywoodienne. Résolument optimiste, ce chef d'œuvre de Stanley Donen met en scène une joie de vivre inaltérable, au défi des circonstances. Au diable la pluie et les parapluies, explique Stanley Donen, quand, au bout du compte, la ténacité, l'amour et l'amitié peuvent venir à bout de toutes les difficultés. À noter toutefois qu'ici, le parapluie n'est autre qu'une extension du bras du danseur, permettant à Gene Kelly de réaliser de purs mouvements ciné-géniques.
Indiana Jones et la Dernière Croisade
Non, il ne sera pas ici question de la célèbre séquence mettant en scène un Sean Connery s'escrimant dans un éclair de lucidité à effrayer à l'aide de son parapluie un groupe de mouettes pour mettre hors jeu un avion belliqueux (cf. "Je me suis soudain rappelé Charlemagne : "Laissez mes armées être les rochers et les arbres, et les oiseaux dans le ciel"). Et ce même si la chose était tentante, tant les scénaristes s'amusent avec brio à détourner l'usage des objets (cf. séquence du stylo dans le tank, entre autres).
Non, l'idéal est sans doute de se focaliser sur la séquence où Indiana se retrouve sous une pluie diluvienne sur un cargo en pleine tempête pour récupérer la croix de Coronado – "sa place est dans un musée" –, antiquité qui lui était passée sous le nez au cours de la première séquence, qui se déroulait 26 ans plus tôt. Avant d'aborder la séquence du bateau, il est crucial de décrire le fondu enchainé qui la précède : en 1912, alors qu'Indiana, 13 ans, vient à contre cœur de remettre la croix de Coronado aux pilleurs de tombe auxquels il l'avait dérobée, l'un d'entre eux s'avance vers lui et le coiffe du célèbre chapeau – un autre objet star de ciné – qui fera sa légende.
Gros plan sur le visage de l'apprenti aventurier, qui baisse la tête et laisse apparent le dessus de son couvre chef. Fondu enchainé : Indiana Jones relève la tête (dans tous les sens du terme), laissant apparaître le visage abimé d'un homme de 38 ans, aux prises de violents coups de poing que lui assène un homme de main. Aux alentours, la pluie fait rage et les vagues risquent à tout moment de faire sombrer le cargo.
Ici, la pluie torrentielle détrempant le chapeau de l'aventurier au fouet renvoie à l'enfance du héros. On l'a vu plus haut, la pluie est un élément propice à la nostalgie. L'éternel recommencement des chutes de gouttes d'eau, a priori toutes identiques, permet en effet de nous renvoyer vers le passé dans la mesure où il est question d'un ressassement (ploc, ploc, ploc). Ainsi, on pourrait même supposer que le début du film Indiana Jones et la Dernière Croisade se déroule en réalité sur ce même cargo en 1938 et que la première séquence n'est en réalité que le fruit des souvenirs d'Indiana Jones, à demi inconscient sous les coups de son agresseur et se remémorant un passage clé de son enfance.
Lost in Translation
Rarement un film aura réussi à dessiner aussi brillamment une apologie de l'amour platonique que ce second film de Sofia Coppola, à l'exception peut-être d'In the Mood for Love ou encore de Brève Rencontre (David Lean, 1945). Dans Lost in Translation, ce dont il est principalement question, c'est avant tout la complicité des sentiments dans les moments d'indécision. Voyez plutôt : quid d'une complicité entre Scarlett Johansson et Bill Murray dans les couloirs d'hôtels ou encore au cours d'une chanson dans une boite de karaoké. Ainsi, tout parait désuet et pas du tout romanesque dans Lost in Translation, où Sofia Coppola se refuse à mettre en scène la fusion entre deux êtres que l'on retrouve habituellement au cinéma.
Tant et si bien que l'ensemble des dialogues de son film comporte ce petit côté désemparé, qui fait par ailleurs toute sa force. Et difficile de rester insensible à cette virée à Tokyo sous un parapluie transparent, là au beau milieu des centaines de Japonais se pressant pour aller au travail, lost in translation.
D'autres films incontournables avec des parapluies dedans (et puis de l'eau)
Mon Voisin Totoro, d'Hayao Miyazaki (ou quand un parapluie sert de vecteur à une idylle) ;
Tous en scène, de Vincente Minnelli ;
Mon oncle, de Jacques Tati ;
Mary Poppins, de Robert Stevenson (ou quand un parapluie sert de tapis volant et/ou de balais magique) ;
Batman, le défi, de Tim Burton (ou comment transformer un parapluie en sulfateuse, lance-flamme, épée…) ;
Le coup du parapluie, de Gérard Oury (ou comment Pierre Richard et Oury nous donnent une leçon de gestuelle hilarante digne d'un Chaplin).